Page d'accueil : bombardement



Curieux thème de poésie que le bombardement.
D'ailleurs les textes ici regroupés ne sont pas souvent des poèmes au sens classique.

Paolo UCELLO, La bataille de San Remano, 1455

Pourquoi cette sélection ?

Sans doute un traumatisme familial : mes parents venaient tout juste d'avoir un an quand les Alliés bombardaient la ville où ils vivaient.

Et puis la guerre en Irak.

  • Uri AVNERY, Lettre à un pilote
  • Uri AVNERY, Letter to a Pilot
  • Tahar BEKRI, Songe à Trieste
  • Antoine de SAINT-EXUPÉRY, Madrid (extrait)
  • Jacques PRÉVERT, Barbara
  • Germain RIDEL, Nous sommes tous des bombardiers
  • Raoul FOLLEREAU, Donnez-moi deux bombardiers

  • Uri AVNERY
    Lettre à un pilote

    J'ai lu l'interview donnée par votre commandant, le général de division Dan Haloutz, et, comme beaucoup d'autres en Israël et à l'étranger, j'ai été choqué.

    Le 23 juillet, un de vos camarades (ou peut-être vous-même ?) a lancé une bombe d'une tonne sur une maison d'un quartier résidentiel très peuplé à Gaza. Le but était d'exécuter, sans procès, Salah Shehadeh, un militant du Hamas. À part lui, 16 voisins, dont 11 enfants, ont été tués. Des dizaines d'autres hommes, femmes et enfants ont été blessés.

    À l'école vous avez certainement appris les paroles du fameux poème de Bialik, le poète national : « Même Satan n'a pas trouvé comment venger la mort d'un petit enfant ». Je présume que vous êtes rongé par le doute après cet acte, que vous regardez vos enfants et que vous vous dites : « Les enfants sont des enfants. Comment leurs enfants peuvent-ils être responsables de la situation ? »

    Et voilà votre commandant qui arrive et qui dit que vous n'avez pas le moindre d'état d'âme. Je ne sais pas s'il dit la vérité ou s'il vous calomnie.

    Le général dit qu'il vous a dit : « Votre travail était parfait... Vous avez fait exactement ce que l'on vous avait dit de faire... Vous n'avez pas dévié d'un pouce ni à droite ni à gauche... Vous n'avez aucun problème. »

    Ceux qui ont des problèmes au sujet de cette action et protestent contre elle (comme moi) sont qualifiés par le général de « coeurs sensibles... une minorité insignifiante et vociférante... » Il nous accuse d'« oser utiliser des méthodes de chantage de style mafieux contre les combattants... la trahison est interdite... il faut trouver un article de loi pour les traduire en justice en Israël... (ceci) me rappelle la période sombre du peuple juif, quand une minorité parmi nous dénonçait d'autres Juifs. » Il condamne également « l'obsession de certains journalistes... ils s'ennuient... alors ils s'emparent de n'importe quoi... »

    La violence de ce propos ne témoigne pas de la tranquillité de conscience du général, qui dit qu'il a « un profond sentiment de justice et de moralité. » Je dirais que, sur la tête du général, la casquette bleue brûle (une allusion à l'adage juif : « Sur la tête du voleur, le chapeau brûle », ce qui veut dire que son comportement trahit sa culpabilité.) Chaque mot trahit l'hystérie.

    Mais cette façon de parler doit nous inquiéter profondément. Les mots auraient paru naturels s'ils avaient été prononcés par un général en Argentine ou au Chili pendant la dictature militaire, ou par un officier turc prêt à renverser le gouvernement civil. Quand un général israélien utilise de telles paroles contre les médias et la société civile, le feu passe au rouge. D'autant plus qu'il n'a pas été limogé immédiatement mais, au contraire, félicité publiquement. La démocratie israélienne n'en sort pas grandie.

    Mais je ne veux pas vous parler de Dan Haloutz mais de vous-même.

    Qui êtes-vous ? Qu'êtes-vous ?

    Un des pilotes a expliqué au journaliste, Vered Levy-Barzilai : « (C') est ce qui fait le caractère unique et la beauté du monde du pilote. Vous êtes assis là-haut, tranquillement, dans votre immense espace. Il n'y a ni bruits, ni explosions, ni cris des gens. Vous êtes complètement polarisé sur votre cible, vous n'avez pas la saleté et l'horreur du champ de bataille. Vous faites votre truc et vous rentrez chez vous. »

    Dan Haloutz, aussi, décrit ses sentiments ainsi : « Si vous voulez vraiment savoir ce que je ressens quand je lâche une bombe, je vous dirais : je ressens un léger sursaut de l'avion du fait du largage de la bombe. Une seconde après c'est fait, et c'est tout. Voilà ce que je ressens. »

    « C'est tout. » En bas des choses terribles se passent, des corps mutilés explosent en l'air, des êtres humains blessés crient de douleur, des gens enterrés sous les débris poussent leur dernier soupir, des femmes hurlent sur les cadavres de leurs enfants, une scène d'enfer, pas différente de la scène provoquée par un attentat-suicide - et « c'est tout ». Un léger sursaut de l'avion, et la maison, une douche chaude et au lit.

    Je dois confesser qu'il m'est difficile d'imaginer cette expérience. J'ai fait mon service armé dans l'infanterie, je voyais sur qui je tirais et qui me tirait dessus ; je pouvais à tout moment être blessé (et je l'ai été) ou tué. Il m'est difficile d'imaginer l'expérience d'une personne là-haut dans le ciel, semant la mort et la destruction sans être en danger elle-même.

    Ce pilote - vous ? - est-il affecté par le doute ? Est-il quelquefois tourmenté ? Se demande-t-il si telle ou telle action est permise, morale, juste ? Ou bien est-il - vous ! - devenu un robot, un « professionnel » qui est fier de sa parfaite maîtrise du terrible engin de mort qui lui a été confié et de la « stricte » exécution des ordres ?

    Je sais que tous les pilotes ne sont pas des robots. J'ai encore devant les yeux le colonel Yigal Shohat son papier à la main et lisant, d'une voix tremblante d'émotion, son appel historique à ses camarades pilotes et aux élèves aviateurs à refuser les ordres manifestement illégaux, comme précisément cette action à Gaza. Shohat, un héros de guerre, dont l'avion avait été abattu au-dessus de l'Égypte et dont la jambe a été amputée par un chirurgien égyptien, est tout le contraire de Haloutz.

    Vous devez décider - être un être humain comme Shohat, sensible à la souffrance des autres, ou un robot comme Haloutz, qui ressent un léger sursaut pendant qu'il tue des dizaines d'êtres humains.

    Les Règles de la Guerre sont nées après la guerre de Trente ans, une des plus horribles dans les annales de l'Europe, un holocauste dans lequel un tiers de la nation allemande a été éliminé et les deux tiers de l'Allemagne dévastés. Les conventions internationales sont basées sur la conviction que même dans une guerre dure, où chaque côté combat pour son existence, les exigences de la morale humaine doivent être respectées.

    N'adoptez pas à la légère les slogans primitifs de Haloutz, qui justifie tout en disant que Shehadeh était le « diable incarné », des paroles qui trahissent sa vision d'extrême droite du monde. Shehadeh n'a pas été traduit en justice. Aucune de ses prétendues actions n'a été prouvée. Il croyait certainement qu'il servait son peuple, comme vous croyez que vous servez le vôtre. Mais même s'il était prouvé qu'il était un ennemi dangereux, ceci ne justifie en aucune manière l'assassinat de ses voisins. L'argument que cet assassinat massif a évité celui de Juifs n'est pas valable. Quand le pilote a lâché sa bombe, il savait de façon certaine qu'il allait tuer beaucoup de personnes, alors que la possibilité que Shehadeh nous tue n'était qu'une hypothèse. D'autre part, il était certain que cet assassinat conduirait à des actes de vengeance et que beaucoup de sang juif coulerait à cause de lui. En outre, il y a une différence énorme entre un groupe de guérilla et une armée puissante agissant au nom d'un État.

    Dans ces circonstances-là, auriez-vous dit à votre commandant : « Je refuse d'obéir à cet ordre, parce qu'il est manifestement illégal ? » La loi israélienne et la morale humaine vous obligent à agir ainsi. Mais Dan Haloutz dit : « le refus d'exécuter une sortie ne fait pas partie de mes règles du jeu. »

    Qu'en est-il de vos règles du jeu ?

    Mardi 27 août 2002
    Traduit de l'anglais - RM/SW
    http://www.terredescale.net/article.php3?id_article=181

    Le texte anglais de cet article, Letter to a Pilot, peut être consulté sur le site de Gush Shalom http://www.gush-shalom.org/

    Uri Avnery, un des membres fondateurs de Gush Shalom. Né en Allemagne en 1923, il a immigré en Palestine en 1933. Dès 1948, il a défendu l'instauration d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Il a été le premier Israélien à nouer des contacts (en 1974) avec l'OLP, et le premier également à rencontrer Yasser Arafat (en 1982, dans Beyrouth assiégée). Écrivain et journaliste, Uri Avnery est chroniqueur depuis 1993 au quotidien Ma'ariv.


    Uri AVNERY
    Letter to a Pilot

    I have read the interview given by your commander, Major General Dan Halutz, and, like many others in Israel and abroad, I was shocked.

    On July 23, one of your comrades (or perhaps you yourself?) dropped a one-ton bomb on a house in a dense residential neighborhood in Gaza. The aim was to execute, without trial, Salah Shehadeh, a Hamas activist. Apart from him, 16 neighbors, including 11 children, were killed. Tens of other men, women and children were wounded.

    In school you certainly learned the words of the famous poem by Bialik, the national poet, "Even Satan has not invented the revenge of a little child." I assumed that you are torn by doubt after this act, that you look at your children and tell yourself: "Children are children. How are their children responsible for the situation?"

    And here comes your commander and says that you have no pangs of conscience, none whatsoever. I don't know whether he is telling the truth or slandering you.

    The general says that he told you: "Your execution was perfect You did exactly what you were told to do You did not deviate one inch left or right You have no problem."

    Those who do have problems with this action and protest against it (like myself) are called by the general "bleeding hearts a insignificant and vociferous minority" He accuses us of "daring to use methods of mafia-style blackmail against fighters treason is forbidden a paragraph must be found in the law in order to put them to trial in Israel (this) reminds me of dark time of the Jewish people, when a minority amongst us informed against other Jews." He also condemns "the obsession of some journalists they are bored so they jump"

    These extreme utterances do not testify to the mental tranquility of the general, who says that he has "a deep feeling of justice and morality." I would say that on the head of the general, the blue cap is burning.* Each word betrays hysteria.
    * An allusion to the Jewish adage: "On the head of the thief, the hat is burning," meaning that his behavior discloses his guilt.

    But the style must cause deep anxiety. The words would have sounded natural if uttered by a general in Argentina or Chile during the military dictatorship, or by a Turkish officer about to topple the civilian government. When an Israeli general uses such words against the media and civil society, a red light is turned on. The more so since he was not summarily dismissed but, on the contrary, publicly lauded. Israeli democracy is losing height.

    But I do not want to speak with you about Dan Halutz, but about yourself.

    Who are you? What are you?

    One of the pilots explained to the interviewer, Vered Levy-Barzilai: "(That) is the uniqueness and the beauty of the world of the pilot. You sit up above, quietly, with your wide space. There are no noises, no booms, no shouts of people. You are totally focused on the target, you don't have the dirt and the horror of the battlefield. You do your thing and head home."

    Dan Halutz, too, describes his feelings thus: "If you really want to know what I feel when I release a bomb, I will tell you: I feel a slight bump to the plane as a result of the bomb's release. A second later it's gone, and that's all. That's what I feel."

    "That's all." Down below horrible things happen, mutilated bodies fly in the air, wounded human beings writhe in pain, people buried under the debris utter their last groan, women scream over the bodies of their children, a scene of hell, not different from the scene of a suicide bombing - and "that's all". A slight bump to the plane, and then home, to a warm shower and bed.

    I must confess that it is hard for me to imagine this experience. I did my combat service in the infantry, I saw who I was shooting at and who was shooting at me; I could at any moment have been wounded (as I was) and killed. It is difficult for me to imagine the experience of a person up in the sky, sowing death and destruction without being in any danger himself.

    Is this pilot - you! - afflicted by doubt? Does he sometimes torment himself? Does he ask himself if a certain action is permitted, moral, right? Or does he - you! - become a robot, a "professional" who is proud of his perfect control over the awesome machine-of-death entrusted to him and of the "exact" execution of his orders?

    I know that not all pilots are robots. I still see before my eyes Colonel Yig'al Shohat reading from his paper, with a voice trembling with emotion, his historic appeal to his fellow-pilots and pupils in the Air Force to refuse manifestly illegal orders, such as precisely this action in Gaza. Shohat, a war-hero who was shot down over Egypt and whose leg was amputated by an Egyptian surgeon, is the exact opposite of Halutz.

    You must decide - to be a human being like Shohat, sensitive to the suffering of others, or a robot like Halutz, who feels a slight bump while he kills dozens of human beings.

    The Rules of War were born after the Thirty Years War, one of the most horrible in the annals of Europe, a holocaust in which a third of the German nation was wiped out and two thirds of Germany laid waste. The international conventions are based on the conviction that even in a hard war, when each side is fighting for existence, the commandments of human morality must be kept.

    Don't make it easy for yourself by adopting the primitive slogans of Halutz, who justifies everything by saying that Shehadeh was "evil incarnate", words which betray his ultra-rightist world-view. Shehadeh was not put on trial. None of his alleged acts were proven. He certainly believed that he was serving his people, as you believe that you are serving yours. But even if it were proven that he was a dangerous enemy, this does not justify in any way the killing of his neighbors. The argument that this wholesale killing prevented the killing of Jews is not valid. When the pilot released his bomb he knew for certain that he was killing many people, while Shehadeh's ability to kill us was only an assumption. On the other hand, it was certain that this killing would lead to acts of revenge, and that much Jewish flood would flow because of it. Furthermore, there is a hell of a difference between a guerilla group and a mighty army acting on behalf of a state.

    Under these circumstances, would you have told your commander: "I refuse to fulfill this order, because it is manifestly illegal?" Israeli law and human morality oblige you to do so. But Dan Halutz says: "Refusal to perform a sortie is not part of the rules of my game."

    What about the rules of y o u r game?

    24.8.02
    http://www.gush-shalom.org/archives/article208.html


    Tahar BEKRI
    Songe à Trieste

    Te revoilà vieille mer
    Remplie de mes ancres
    Ni la vague absente
    Ni le silence de la lumière
    Ne disent à la mouette
    Soit douce
    Pour mes voiles
    Combien de rides
    Cordes offertes à l'errance
    Faut-il au soleil
    Pour être sourd aux canons
    Voici mes mâts
    Ja1ousant les insouciants sapins
    Plus inquiets que les collines
    De trop aimer les clochers
    Sarajevo brûle
    Que n'as-tu aboli les frontières
    Dans les veines du vent
    Ulysse
    Aux secrètes amours
    Dérobées à l'horizon

    Te revoilà épuisée mer
    Des pas alourdis
    Sur les quais
    Ni le port
    N'a ravi les corsaires
    Ni la pierre
    N'a sauvé les neiges
    Les souvenirs
    Portés par les écumes
    Le sel blesse leurs ailes
    La nuit vole leurs vols
    Cime après cime
    Tu crains les aigles
    Leurs griffes comme des balles
    Dans les brumes sonores
    Que n'as-tu imploré les rochers
    La désinvolte hirondelle
    Mer meurtrie
    Pour étreindre la frivole eau
    Dans les bras du soir écarlate
    Et éteindre tous ces incendies

    Extrait de Marcher sur l'oubli, Editions l'Harmattan, 2000


    Antoine de SAINT-EXUPÉRY
    Madrid (extrait)

    Juin 1937 voit Saint-Exupéry à Madrid comme envoyé spécial de Paris-Soir. Ces pages ont été écrites à Madrid et sur le front de Carabancel. Elles ont inspiré le passage de Terre des Hommes: le réveil du sergent espagnol.
    Cf. Paris-Soir des 27, 28 juin et 3 juillet 1937.

    Les balles claquaient au-dessus de nos têtes, contre le mur baigné de lune que nous longions. Un remblai, sur la gauche de la route, parait celles qui volaient bas. Ainsi, malgré ces éclats secs, à mille mètres d'une bataille qui se développait en fer à cheval en face de nous et sur nos flancs, le lieutenant qui m'accompagnait et moi éprouvions, sur ce blanc chemin de campagne, le sentiment d'une grande paix. Nous pouvions chanter, nous pouvions rire, nous pouvions craquer des allumettes, personne ne prêtait attention à nous. Nous étions pareils à des paysans qui s'en vont au marché voisin. Mille mètres plus loin, la dure nécessité nous rangerait d'office sur l'échiquier noir de la guerre, mais ici, hors du jeu, oubliés, nous faisions l'école buissonnière. Les balles aussi. Balles perdues, écume des lointains combats. Celles qui sifflaient ici avaient là-bas manqué leur but. Au lieu de s'écraser contre les parapets de terre ou de crever des poitrines d'hommes, quelques-unes, tirées trop haut, sur l'horizon, s'étaient échappées.

    de la terre, sans que ni l'un ni l'autre eussions gagné la manche. Les événements venaient de prendre un visage grave, et notre jeu nous parut soudain puéril, non qu'une rafale de mitrailleuse nous eût balayés, non qu'un projecteur nous eût découverts, mais simplement à cause d'un souffle, d'une sorte de gargouillis céleste et qui ne nous concernait point : « Ça, c'est pour Madrid », dit le lieutenant.
    Le boyau d'approche emprunte la crête d'une colline un peu avant Carabancel. Dans la direction de Madrid, le talus de terre s'est effondré, et la ville nous apparaît, dans l'échancrure, blanche, étonnamment blanche, sous la pleine lune. Deux kilomètres à peine nous séparent de ces hauts immeubles que domine la « Telefonic ». Madrid dort ou plutôt Madrid feint de dormir. Pas un point lumineux, pas un bruit. Le fracas funèbre que nous entendons désormais se répercuter de deux minutes en deux minutes se noiera chaque fois dans un silence de mort. Il n'éveillera dans la cité ni rumeur, ni remue-ménage. Il s'engloutira chaque fois comme une pierre dans les eaux. Brusquement m'apparaît en place de Madrid un visage. Un visage blanc, aux yeux fermés. Un visage dur de vierge obstinée et qui reçoit les coups un à un, sans répondre. Voici encore au-dessus de nos têtes, dans les étoiles, ce gargouillis de bouteille débouchée... Une seconde, deux secondes, cinq secondes... Je recule malgré moi, il me semble que je vais recevoir le coup, et han! c'est comme si la cité entière croulait ! Mais Madrid émerge toujours. Rien n'a croulé, rien n'a sourcillé, rien n'a changé : le visage de pierre est resté pur.
    « Pour Madrid... »
    Il répète cela machinalement, mon compagnon.
    Il m'apprend à les démêler, ces frémissements dans les étoiles, à suivre ces squales qui coulent vers leur proie :
    « Non... ça c'est une batterie à nous qui répond... Ça c'est eux, mais ils tirent ailleurs... ça... ça c'est pour Madrid. »
    Les explosions qui tardent, on n'en finit plus de les attendre. Qu'il se loge donc d'événements dans cette durée. Une pression énorme monte, monte... Cette chaudière, qu'elle se décide donc à sauter! Ah ! il y a ceux qui viennent de mourir, mais il y a ceux-là aussi qui viennent d'être délivrés. Huit cent mille habitants, moins une douzaine de victimes, reçoivent leur sursis. Entre le gargouillis et l'explosion, ils étaient huit cent mille en danger de mort. Chaque obus en marche menace toute la ville.
    Je la sens là, serrée, compacte, solidaire. Je les devine, ces hommes, ces enfants, ces femmes, toute cette humble population qu'une vierge sans mouvement abrite sous son manteau de pierre. J'entends encore l'ignoble bruit et je demeure saisi, écreuré par le glissement de la torpille, je ne sais plus ce que je dis: « On... on torpille Madrid... » Et l'autre fait écho, qui compte les coups : règles du jeu de la guerre et de la loi des représailles. Qui a commencé ? A une réponse on trouve toujours une réponse, et le premier meurtre de tous est enfoui dans la nuit des temps. Plus que jamais je me défie de la logique. Si le maître d'école me démontre que le feu ne brûle point la chair, j'étends la main sur le foyer et connais, sans logique, que son raisonnement pèche quelque part.
    J'ai vu une petite fille déshabillée de sa robe de lumière: comment croirais-je à la vertu des représailles ?
    Quant à l'intérêt militaire d'un tel bombardement, je n'ai pas su le découvrir. J'ai vu des ménagères éventrées; j'ai vu des enfants défigurés, j'ai vu cette vieille marchande ambulante éponger les débris de cette cervelle qui avait giclé sur ses trésors; j'ai vu la concierge sortir de sa loge et purifier d'un seau d'eau le trottoir, et je n'ai pas encore compris quel rôle jouaient, dans une guerre, ces humbles accidents de voirie. Rôle moral ? Mais un bombardement se retourne contre son but! A chaque coup de canon quelque chose se renforce dans Madrid.
    L'indifférence, qui balançait, se détermine. Ça pèse lourd un enfant mort quand il est vôtre. Un bombardement, m'a-t-il semblé, ne disperse pas : il unifie. L 'horreur fait serrer les poings, et l'on se rejoint dans la même horreur. Le lieutenant et moi grimpons sur le talus. Visage ou navire, Madrid est là qui reçoit les coups sans répondre.

    Mais ainsi sont les hommes : les épreuves affermissent lentement leurs vertus. C'est pourquoi s'exalte mon compagnon ; il pense à cette volonté qui se durcit. Le voilà les poings sur les hanches qui respire fort. Il ne plaint plus les femmes ni les enfants...
    « Ça fait soixante... »
    Le coup retentit sur l'enclume: un forgeron géant forge Madrid.

    in Un sens à la vie, Textes inédits recueillis et présentés par Claude REYNAl, NRF Gallimard, 1956


    Jacques PRÉVERT
    Rappelle-toi Barbara

    Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
    Et tu marchais souriante
    Epanouie ravie ruisselante
    Sous la pluie
    Rappelle-toi Barbara
    Il pleuvait sans cesse sur Brest
    Et je t'ai croisée rue de Siam
    Tu souriais
    Et moi je souriais de même
    Rappelle-toi Barbara
    Toi que je ne connaissais pas
    Toi qui ne me connaissais pas
    Rappelle-toi
    Rappelle-toi quand même ce jour-là
    N'oublie pas
    Un homme sous un porche s'abritait
    Et il a crié ton nom
    Barbara
    Et tu as couru vers lui sous la pluie
    Ruisselante ravie épanouie
    Et tu t'es jetée dans ses bras
    Rappelle-toi cela Barbara
    Et ne m'en veux pas si je te tutoie
    Je dis tu à tout ceux que j'aime
    Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
    Je dis tu à tout ceux qui s'aiment
    Même si je ne les connais pas
    Rappelle-toi Barbara
    N'oublie pas
    Cette pluie sage et heureuse
    Sur ton visage heureux
    Sur cette ville heureuse
    Cette pluie sur la mer
    Sur l'arsenal
    Sur le bateau d'Ouessant
    Oh Barbara
    Quelle connerie la guerre
    Qu'es-tu devenue maintenant
    Sous cette pluie de fer
    De feu d'acier de sang
    Et celui qui te serrait dans ses bras
    Amoureusement
    Est-il mort disparu ou bien encore vivant
    Oh Barbara
    Il pleut sans cesse sur Brest
    Comme il pleuvait avant
    Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
    C'est une pluie de deuil terrible et désolée
    Ce n'est même plus l'orage
    De fer d'acier de sang
    Tout simplement des nuages
    Qui crèvent comme des chiens
    Des chiens qui disparaissent
    Au fil de l'eau sur Brest
    En vont pourrir au loin
    Au loin très loin de Brest
    Dont il ne reste rien.

    Germain RIDEL

    Nous sommes tous des bombardiers.

    Le commandant chien, Dubois, 2007


    Raoul FOLLEREAU
    Donnez-moi deux bombardiers

    Lettre ouverte, à Monsieur le Président des États-Unis d'Amérique et à Monsieur le Président du Conseil de l'Union Soviétique (à l'époque le Général Eisenhover et le président Malenkov) :

    « Paris, le 1er septembre 1954.

    Messieurs les Présidents, Messieurs les Grands,
    Lirez-vous cette lettre ?
    Si elle parvient jusqu'à vous, vous la lirez. Et même si vous ne me répondez pas, vous serez obligés d'y répondre dans le secret de votre cœur. Car vous avez un cœur.

    Seulement avez-vous le temps de l'entendre battre ? Si vous l'écoutez quelquefois, puisse-t-il vous parler des centaines de millions d'autres cœurs qui battent dans le monde, que parfois vous faites battre plus vite... Parce qu'un jour, à cause de vous, ils pourraient cesser de battre. Je suis un homme de bonne volonté. Comme vous. Mais qui a exploré d'autres domaines de la souffrance.
    Je suis un homme qui croit encore à la bonne volonté. Et c'est pour cela que je vous écris. Vous êtes, Messieurs, les deux hommes les plus puissants du monde. Je sais bien que cela ne signifie pas grand chose: les hommes très puissants, sauf le mal, ne sont guère libres de faire quoi que ce soit.

    Mais ce que je vous demande est si peu...
    Presque rien...
    Donnez-moi un avion,
    chacun un avion,
    un de vos avions de bombardement.
    Parce que j'ai appris que chacun de ces engins coûtait environ cinq milliards de francs...
    Alors j'ai calculé qu'avec le prix de deux de vos avions de mort, on pourrait soigner tous les lépreux du monde.
    Moi je dormirai mieux.
    Et des millions de pauvres gens dormiront enfin...

    Vous êtes les demi-dieux de ce siècle. Les demi-dieux, jadis, on les craignait, on les admirait de loin. Je ne me souviens pas bien si les peuples les aimaient beaucoup: ils étaient trop loin... Ainsi de vous. Vous êtes si loin que peut-être jamais vous ne lirez cette lettre.
    Et pourtant je suis sûr que vous êtes bons, que vous voulez vraiment la paix et le bonheur de tous... Seulement vous êtes trop loin... Et trop loin l'un de l'autre.

    Vous ne croyez pas que ce serait une belle occa- sion de « faire quelque chose » ?
    Douze ou quinze millions de pauvres gens, ce n'est pas toute la misère du monde. Mais c'est déjà une grande misère.

    Deux avions de bombardement! Et on aura tous les médicaments pour les soigner! Deux avions dont tout ce que vous souhaitez c'est qu'ils se rouillent dans leurs hangars, sans jamais en sortir...
    Le problème n'en sera pas pour autant résolu ? Je le sais. Mais donnez déjà les deux avions : vous allez voir comme il va s'éclaircir. Et quelle espé- rance naîtra alors dans des millions de pauvres cœ qui ne seront pas seulement ceux des lépreux...

    Pour l'instant, je suis seul à espérer.
    Mais j' espère si fort, si fort, que vous m'entendrez, que vous finirez par m'entendre...
    S'il plaît à Dieu, à ce Bon Dieu auquel un de vous seul à foi. Mais qui vous aime tous les deux...
    »

    Un an plus tard, le 1er septembre 1955, Raoul Follereau écrivit une deuxième lettre ouverte à nos Seigneurs de la Guerre et de la Paix :

    « Messieurs les Grands,
    A Monsieur le Président des États-Unis et à Monsieur le Président du Conseil des Ministres de l'Union Soviétique, j'ai adressé une lettre.
    Une lettre bien respectueuse et bien aimable. Certains ont dû penser: bien naïve. Je n 'ai pas eû de réponse. Ni de l'un, ni de l'autre.

    Je crois bien que ce fut pour eux la première occasion d'être d'accord.
    Pourtant je n'étais pas bien exigeant...

    Je comprends maintenant à leur silence combien ma demande était maladroite.
    Deux avions de bombardement!
    Est-ce que l'on joue avec ces choses-là ? ...
    Je ne m'en offusque pas.
    Mais je ne renonce pas...

    J'ai fait un autre calcul. Si à chaque fois que vous avez, en 1954, dépensé en vue de la mort deux millions de francs, vous aviez mis cent francs pour les pauvres amis les lépreux, on aurait pu soigner tous les lépreux du monde.

    Deux millions pour tuer : cent francs pour guérir !
    C'est facile, n 'est-ce pas ? Et cela paraît si dérisoire que je me demande bien comment vous allez faire pour me les refuser l'an prochain...

    Messieurs les Grands, Nos Seigneurs de la Guerre et de la Paix, est-ce que vraiment vous ne trouverez jamais pour soigner les pauvres, pour les nourrir, pour les élever, la millième partie de ce que vous avez sacrifié, des années durant pour tuer, pour haïr, pour détruire ?

    Cette question, c'est l'homme, chaque homme de chaque peuple qui vous la pose. Que vous demeuriez ou non silencieux, il se réjouira de votre action ou constatera votre carence: de toute façon vous n 'éviterez pas son jugement...»

    [...]

    Raoul FOLLEREAU
    Un jour de guerre pour la paix

    Lettre à Monsieur U Thant, Secrétaire Général de l'Organisation des Nations-Unies

    «Paris, le 1er septembre 1964

    Monsieur le Secrétaire Général,

    En 1944, il y a vingt ans, d'un petit village de France où j' avais dû chercher refuge, j'écrivais au Président Roosevelt: « Un jour cette guerre finira. Elle finira par où elle aurait dû commencer: la Paix. Je vous propose alors, à vous, à vos alliés, à vos adversaires de prolonger théoriquement les hostilités de vingt-quatre heures. Je veux dire : que pendant vingt-quatre heures, la guerre coûte encore, mais ne détruise plus. L'argent qui vous permet de tuer, chaque jour depuis cinq années, vous l'auriez bien trouvé; n 'est-ce pas, pour tuer un jour de plus ? Alors, ces milliards-là, mettez-les en commun pour reconstruire ensemble quelques-unes de ces œuvres qui sont la propriété et l'honneur de tous les hommes, et que la guerre a détruites sans le vouloir sans y prêter attention, j'allais écrire : par-dessus le marché. Après tant de sanglantes désespérances, ce sera pour vos peuples la première raison d'espérer ».

    Je ne reçus point de réponse.

    En 1954, il y a 10 ans, j'écrivais aux deux Grands : « Renoncez chacun à un avion de bombardement et nous pourrons soigner tous les lépreux du monde ».
    Pas de réponse non plus.

    Je renouvelai ma démarche en 1955. En vain. Puis le 15 septembre 1959, il y a cinq ans. Cette quatrième lettre n'eut pas un meilleur sort. Enfin, en 1962, j'envoyai un message à tous les Chefs d'État du monde...

    Voilà, pensera-t-on, une obstination singulière.
    Mais, parce qu'on ne m'entend pas, est-ce une raison pour que je me taise ? Ou dois-je encore me résigner à croire que ces mots : faim, misère, fraternité ne se traduisent dans aucune des langues dont on use aujourd'hui dans les réunions internationales ?

    Alors, une fois encore, -une dernière fois sans doute -,je m'adresse à la conscience des grandes puissances et au cœur de tous les peuples.
    Je le fais avec une confiance rajeunie par votre présence. Parce que vous appartenez à un pays, à un continent où la faim, la misère, on n'a pas besoin d'aller à l'école pour apprendre ce que c'est : trop hélas le savent en naissant...

    Voici mon vœu, réplique de celui que j'exprimais il y a vingt ans.
    Que toutes les nations présentes à l 'O.N. U. décident que chaque année, à t'occasion d'une Journée Mondiale de la Paix, elles prélèveront sur leur budget respectif ce que leur coûte un jour d'armement, et le mettront en commun pour lutter contre les famines, les taudis et les grandes endémies qui déciment l 'humanité. Un jour de guerre pour la paix...
    On pensera peut-être que je ne suis pas très exigeant.

    Mais cette première conversion d'armes de mort en aœuvres de vie sera un geste retentissant, capable d'amorcer le salut d'une humanité qui, mains liées et bouche cousue, assiste, impuissante, à son propre suicide.

    En 1959, j'écrivais à Messieurs Kroutchev et Eisenhower : « Si vous continuez d'armer, vous êtes morts. Et nous mourrons tous avec vous. Pour rien. A cause de vous. Alors que ni l'un ni l'autre vous ne voulez tuer Mais parce que vous n'avez pas trouvé le moyen de faire autrement.»

    Voici un moyen. Modeste, c'est sûr. Mais qui ouvrira une petite porte à t'espérance. Désarmez pour pouvoir aimer.

    C'est ce que, par votre voix, je désire dire à l'O.N. U. Parce que je suis sûr qu'il y a, dans tous les pays qu'elle réunit, des millions d'hommes qui seront heureux de savoir que je l'ai dit.
    Que chaque nation décide donc ce que sa conscience lui dictera.
    Qu'elle réponde ou qu'elle demeure indifférente à cet ultime appel, le monde à venir s'en souviendra.
    Et nul n'évitera son jugement.
    Pour moi je continuerai d'espérer Veuillez croire, Monsieur le Secrétaire Général, à ma confiante et respectueuse considération. »

    Cette fois, Raoul Follereau était bien décidé à ce que sa lettre ne reste pas sans réponse, et il eut l'idée de génie de faire appel à la jeunesse : celle de 14 à 20 ans qui n'avait pas le droit de vote.
    Il édita une carte postale double. Au recto de la première, il y avait l'adresse du Secrétaire Géné- ral des Nations-Unies, et au verso, il était écrit ceci :

    « Nous, jeunes de 14 à 20 ans, faisons nôtre l'appel « Un Jour de Guerre pour la Paix » que Raoul Follereau a adressé aux Nations-Unies et nous nous engageons à user de nos droits civils et politiques pour assurer le succès de cet appel.»
    Sous cette déclaration, il y avait la place pour les signatures, les noms et adresses de 10 jeunes.
    Au recto de la seconde carte postale, il y avait l'adresse de Raoul Follereau, et au verso le double de la déclaration de la première. Au surplus, chaque carte était numérotée. Au moment de l'envoi il suffisait de séparer les cartes, de les timbrer et de les envoyer à leurs destinataires respectifs.

    Raoul Follereau eut ainsi une idée précise de l'impact de son appel à l'O.N.U. Avant d'en faire le bilan, il faut savoir que de nombreux États lui écrivirent pour le soutenir : Sénégal, Cambodge, Gabon, Tchad, Côte- d'Ivoire, Canada, Liban, Mauritanie, Rwanda, Cameroun, Niger, Guinée, Dahomey, Togo, Haute-Volta...

    Et maintenant voyons les chiffres: en décembre 1964, 100000 jeunes de 55 pays avaient déjà répondu. Ils étaient 400000, de 11 pays, en janvier 1965 ; puis 650 000, de 94 pays, en juillet ; puis 1 million, de 102 pays, en novembre; et 2 millions, de 120 pays, en octobre 1968. 3 millions de jeunes avaient répondu en 1969. Même dans le « machin », cela ne passa pas inaperçu !

    Et, dès le 1 décembre 1968, 15 pays déposaient une Résolution, invitant tous les États Membres à consacrer une journée à la paix et à verser, chaque année à cette occasion, un jour de leurs dépenses militaires à un Fonds Spécial pour la Paix destiné à la lutte contre les épidémies, les endémies, la faim, la misère et l'analphabétisme.
    Le 12 décembre 1968, le communiqué suivant fut publié : « Le comité a décidé d'ajourner la Résolution "Un Jour de Guerre pour la Paix" après que le Président ait pris acte du fait qu'une consultation entre les membres indiquait que la majorité était pour l'ajournement ».
    Cette décision, dit-il, était fondée sur le fait que le projet de Résolution serait inscrit à l'ordre du jour de la session régulière de l'Assemblée prévue en 1969. En accord avec ce qui est prévu dans cette Résolution, l' Assemblée souhaitait souligner la nécessité absolue de prendre les moyens nécessaires pour encourager la diminution de la tension internationale et la réduction des dépenses militaires.

    L'Assemblée invitait tous les pays « à déterminer un Jour de Guerre pour la Paix et, chaque année, à mettre à la disposition du Fonds pour La Paix des Nations Unies l'équivalent d'un jour de budget de dépenses militaires, a fin de combattre les maladies, la faim, la pauvreté et l'ignorance ». De plus, il a été conseillé à l'Assemblée de confier au Secrétaire Général la tâche d'établir le moyen de distribuer les ressources du Fonds.

    Ce n'était là qu'une demi-victoire. La première victoire, c'est grâce au Luxembourg qu'elle fut remportée. Ce pays versa en 1969 la première contribution au Fonds pour la Paix : 500 000 FL.
    C'est à cette occasion que Raoul Follereau écrivit : « Un pays n'est pas un grand pays parce qu'il est puissant. Un pays n'est pas un grand pays parce qu'il est riche. Un pays est un grand pays quand il est capable de beaucoup d'amour».

    Raoul Follereau sa vie - son message
    Le livre d'amour
    1996
    Fondation Raoul Follereau
    31, rue de Dantzig
    75015 Paris


    Créé 18/01/03
    Modifié 14/03/04
    Noosphère 2, 2003
    noosphere2@chez.com