Page d'accueil : autour d'Omar Khayyam



C'est dans mon manuel de philosophie, en Terminale, que j'ai découvert Khayyam :

Russ, Les chemins de la pensée, Philosophie Terminales, Armand Colin, p. 34

Héraclite, fragments n° 59, in Battistini, Trois présocratique, p. 38, Idées-Gallimard :
Le temps de notre vie est un enfant qui joue et qui pousse des pions. C'est la royauté d'un enfant.
Maurice Solovine a rapproché ici Héraclite d'Omar Khayyam, poète persan, mort vers 1123, auteur de quatrains voluptueux, mais souvent désespérés :
Pour parler clairement et sans paraboles
Nous sommes les pièces du jeu que joue le Ciel
On s'amuse avec nous sur l'échiquier de l'Être
Et puis nous retournons un par un dans la boîte du Néant

(cité in Les penseurs grecs avant Socrate, p. 234, Garnier Flammarion).

Qu'on ne dise pas que la philo au lycée ne sert à rien !

  • Index synonymique de la flore de France
  • RONSARD, Mignonne, allons voir si la rose
  • Yehuda AMICHAÏ, Revenez l'hiver prochain
  • AL MAARI, Perte de la vue...
  • Joë BOUSQUET, Clairière
  • Joë BOUSQUET, Il n'a ni droite, ni gauche
  • AL MAARI, Nous rions...
  • Omar KHAYYAM, Cette nuit, j'ai lancé un bol...
  • Omar KHAYYAM, Puisque ma venue au monde...
  • AL MAARI, Endormi, je te trouve...
  • Edgar BOWERS, Compagnons, nos jours sont courts.../Comrades, our time is short...
  • Reiner KUNZE, Chardon argenté/Silberdistel
  • AL MAARI, Bien des choses la raison m'interdit...
  • Omar KHAYYAM, Nous avons été témoin du dépérissement...
  • MATTHIEU, 6, 25-34
  • AL MAARI, Dis à la colombe...
  • Omar KHAYYAM, Là-bas, le palais...
  • Gilles BAUDRY, Hors la lumière qui tombe...
  • Rosiers
  • Genèse, chapitre 3
  • Copla anonyme, Tous les hommes en naissant...
  • Albert CAMUS, À un certain point de son chemin, l'homme absurde est sollicité
  • Albert CAMUS/MOLINA, Que tu me donnes un long délai !

  • Les traductions de Khayyam diffèrent. Certaines parlent de roses, d'autres préfèrent les tulipes. Est-ce fondamental ?
    La tulipe était sans doute au pays de Khayam, ce que sont les roses chez nous depuis le Moyen-Age.

    Consultez donc la section qui comprend tous les noms des roses botaniques de France dans l'Index synonymique de la flore de France : http://www.inra.fr/flore-france/roc-roz.htm
    Il y en a beaucoup plus qu'on ne le pense car cet index recense tous les synonymes, c'est à dire tous les noms qu'une même variété a pu prendre selon les régions, selon les découvreurs et les flores anciennes.
    Un document scientifique peut parfois devenir poétique...


    Pierre de RONSARD

    Pour un français, qui dit rose et amour, dit Ronsard.
    Le pays dudit Ronsard, la Touraine, est une région où les roses sont particulièrement présentes. Il y a même un village non loin, qui répond au doux nom des Rosiers-sur-Loire.
    Les roses y sont particulièrement belles sur les murs de tuffeau blond.
    Quant aux jolies de ce pays, je laisse à chacun le plaisir d'aller y voir lui-même...

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avait déclose
    Sa robe de pourpre au soleil,
    A point perdu cette vesprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teint au vôtre pareil.
    Las ! voyez comme en peu d'espace,
    Mignonne, elle a dessus la place,
    Las, las ses beautés laissé choir
    O vraiment marâtre Nature,
    Puisqu'une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir.

    Donc, si vous me croyez, mignonne
    Tandis que votre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté,
    Cueillez, cueillez votre jeunesse:
    Comme à cette fleur, la vieillesse
    Fera ternir votre beauté.


    Yehuda AMICHAÏ

    Revenez l'hiver prochain
    ce sont des mots semblables
    qui soutiennent ma vie
    et font passer mes jours,
    un à un, comme une colonne de soldats par dessus le pont qui va sauter.

    Revenez l'hiver prochain.
    Qui n'a pas entendu ces mots là ? Qui reviendra ?

    Yehuda Amichaï, Début fin début, traduit de l'hébreu et présenté par Michel Eckhard-Elial, Editions de l'éclat, 2001

    Cet heptain (?) d'Amichaï me touche par sa concision et la profondeur de sa question finale.
    Les quatre premiers vers pourrait être un quatrain. Je le ressent comme la pensée un peu mélancolique d'un homme âgé.
    Le cinquième vers ramène le concret : on est en Israël, en guerre mais aussi, la mort, bien concrète nous attend tous.


    AL MAARI

    Perte de la vue puis perte de la foi et de la destination
    Aussi ma nuit extrême est-elle trois nuits

    Al Maari, chants de la nuit extrême, traduction de l'arabe, présentation et calligraphie de Sami-Ali, Verticales, 1998

    Deux vers ! Pire que Khayyam.
    Ces deux vers suffisent à Al Maari pour nous faire entrevoir les profondeurs où il se débat.
    Cette lucidité dans la nuit me rappelle La connaissance du soir de Joë BOUSQUET.


    Joë BOUSQUET
    CLAIRIÈRE

    Il bouge un miroir où s'ouvre des paupières
    c'est l'absence sur l'eau de ton visage
    la ballade de ton sourire où l'aube t'envoie
    née du tremblement d'un étoile qui mourut de revoir le jour

    Ton corps se voit dans le noir
    moins d'ombre est dans la nuit
    que dans mes yeux où tu te lèves

    toi de mon nom où tu te caches
    toi de ta voix tout ce qu'on a su de ton coeur
    et plus vivante pour le soleil que pour les jours

    Eclair ou se poursuit la route du matin
    c'est l'hirondelle, elle est blanche
    Noir passant qu'en sais-tu
    Si son ombre l'attache à la rose des neiges
    Où jamais l'amour ne se pose
    depuis qu'il a vu naître et en mourir l'amour

    La connaissance du soir, Poésie/Gallimard (146), 1945


    Joë BOUSQUET
    IL N'A NI DROITE NI GAUCHE...

    Il n'a ni droite ni gauche un squelette en quête de ses os
    si seulement il pouvait dire je pleure et que ce ne soit pas une façon de parler
    On dirait que son corps est fait avec les larmes des autres
    Il est la déchéance de ce qu'il a aimé son coeur rien que de battre le blesse
    Mais il existe une femme si belle que son malheur ne le suis pas jusqu'à sa porte c'est elle qui l'endort c'est elle qui l'éveille

    Après quelques coups de tonnerre il a plu Il pleuvait Des clartés enjambaient les arbres tiraient à travers l'orage des filets plein d'oiseaux-lyres
    Il n'a pas reconnu le pain qu'il mangeait il n'a pas reconnu le bruit d'une porte battant dans le noir
    J'ai su que la joie passait tous feux éteints je lui ai dit
    Mais il dormait le souffle égal alors j'ai détourné les yeux J'étais ici
    Ne me demandez pas de vous parler de moi

    La connaissance du soir, Poésie/Gallimard (146), 1945


    Al Maari encore

    C'est bien connu, les parallèles jamais ne se rejoignent.
    Pareillement, ces textes, je les rassemble pour qu'ils cheminent, en parallèle..

    Chardin, 1756

    Nous rions mais c'est par ignorance
    Les habitants de la terre devant plutôt pleurer
    Le temps par ses vicissitudes nous brise
    Comme si nous étions du verre qu'on ne refont pas

    Al Maari

    Tous les hommes en naissant
    ont au front une inscription,
    écrite en lettres de feu,
    qui dit : "Condamné à mort".

    Coplas, poèmes de l'amour andalou, traduit de l'espagnol par Guy LÉVIS MANO, Allia (16, rue Charlemagne 75006 Paris), 2001

    Cette nuit, j'ai lancé un bol contre une pierre
    J'étais ivre quand je l'ai fait
    Le bol m'a dit dans son language de bol :
    "J'ai été ce que tu es ! Tu seras, toi aussi, ce que je suis !"

    Khayyam
    D'après la traduction d'Armand Robin, Poésie/Gallimard (285), 1994 (édition originale 1958)


    Puisque ma venue au monde ne fut pas mon choix dès le premier jour
    Que mon départ, irrévocable, est fixé sans mon vouloir,
    Debout ! Sangle tes reins, vive serveuse !
    Je veux avec du vin détruire la tristesse de l'univers !

    Khayyam (Trad A. Robin)

    Endormi, je te trouve, réveille-toi !
    Je te préviens que la vie est une traîtresse.
    Venus à l'improviste,
    Ses enfants ne savent pas qu'elle tue.

    Al Maari


    Edgar BOWERS
    Compagnons, nos jours sont courts...

    Compagnons, nos jours sont courts, nos étés comptés.
    Nos joies bientôt finies. Tentez, somptueux et sans
    Attendre la houle lointaine sous le grand oeil doré...

    Comrades, our time is short, our summer few.
    Our joys soon over. Try, while you may, the far
    Wave sumptuously beneath the golden eye...

    Pour Louis Pasteur
    Traduit de l'américain par Christophe CARSTEN
    Traduit et publié avec le concours du Centre national du livre
    2001, Cheyne éditeur, 43400 Le Chambon-sur-Lignon


    Reiner KUNZE

    Chardon argenté

    S'en tenir
    à la terre

    Ne pas jeter d'ombres
    sur d'autres

    Être
    dans l'ombre des autres
    une clarté

    Silberdistel

    Sich zurückhalten
    an der erde

    Keinen schatten werfen
    auf andere

    Im schatten
    der anderen
    leuchten

    Traduit de l'allemand par Mireille GANSEL
    2001, Cheyne éditeur, 43400 Le Chambon-sur-Lignon


    Bien des choses la raison m'interdit
    Et la nature m'y attire irrésistiblement
    Mais la pire c'est que sciemment nous ne croyons pas qui dit vrai
    Et croyons qui dit faux

    Al Maari

    Nous avons été témoin du dépérissement des hommes de la science [...] la plupart de ceux qui par les temps actuels ont l'air de savants, déguisent la vérité par le mensonge, ne dépassent pas les limites de l'imposture et de l'ostentation savante et ne font que servir la quantité de savoir qu'ils possèdent qu'à des buts matériels et vils
    Khayyam
    Algèbre, édition française de F. Woepecke, 1851
    Cité par André Velter dans sa préface aux Rubayat, traduits par A. Robin

    Autre mise en parallèle

    Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps, plus que le vêtement ?
    Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu'eux ?
    Qui d'entre vous d'ailleurs peut, en s'en inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ?
    Et du vêtement, pourquoi vous en inquiéter ? Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux. Que si Dieu habille de la sorte l'herbe des champs, qui est aujourd'hui, et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ?
    Ne vous inquiétez donc pas en disant : qu'allons nous manger ? qu'allons-nous boire ? de quoi allons nous nous vêtir ? Ce sont là toute chose dont les païens sont en quête. Or votre père céleste sait que vous avez besoin de tout cela.
    Cherchez d'abord son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s'inquiétera de lui-même.
    A chaque jour suffit sa peine.

    Matthieu 6, 25-34 (on peut lire aussi Luc 12, 22-31)
    Bible de Jérusalem, 1975

    Dis à la colombe : par ton chant tu éveilles
    La nostalgie de qui se souvient, attristé
    Ton Seigneur t'a vêtu de plumage pour parer au froid
    Ornant ton cou d'un collier
    Ne crains-tu pas le faucon haut perché
    Menaçant de priver tes petits de leur mère ?
    Ne vois-tu pas qu'un tireur infaillible
    A déjà armé d'une flèche l'arc du temps ?
    Mieux vaut ton nid qu'une maison d'égaré
    Couverte de dorures et d'enjolivements

    Al Maari

    Là-bas, le palais qui cognait sur le ciel avec ses ailes !
    Dans la salle d'audience les rois se prosternaient...
    Je vois, sur une tour, un ramier nostalgique,
    Posé à l'aise, il demande et demande : "Où où où ? Où où ?"

    Khayyam (Trad A. Robin)


    Gilles BAUDRY

    Pour terminer avec Al Maari, un poème de Gilles Baudry, moine bénédictin de Landevennec.

    Hors la lumière qui tombe goutte à goutte du vitrail

    que sais-tu de l'éternité sans ombre et sans rivage, de sa soudaine coulée d'or sur tes épaules brèves ?

    Toi que rien ne protège et que le don des larmes a fait toucher du doigt cette autre face de la nuit.

    Invisible ordinaire, Rougerie, 1995


    Il existe un rosier Omar Khayyam.

    Dans le catalogue les roses anciennes de André Eve, saison 2000-2001 :
    OMAR KHAYYAM (Damasc.) 1893
    La graine de ce rosier fut retrouvé sur la tombe d'Omar Khayyam dans le Nashipur. Arbuste au feuillage glauque, duveteux produisants des roses doubles moyennes en bouquet, rose vif et parfumées. Non remontant. Hauteur = 90 à 100 cm.

    Dans le catalogue David Austin, 2001 :
    OMAR KHAYYAM (rosier Damas) Fleurs roses douces. Parfumées. 0,9m x 0,9m. (Environ 1893).


    Car tu es de la terre et tu reviendras de la terre

    Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits.
    Il dit à la femme :
    "Alors comme ça, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les fruits du jardin ?"
    La femme lui répond : "Il a dit qu'on pouvait manger les fruits des arbres du jardin. Mais le fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Il a dit : N'en mangez pas, n'y touchez pas, sinon vous allez mourir !"
    Le serpent rétorque : "Mais pas du tout ! Vous mourrez pas ! Seulement Dieu sait que si vous en mangez, vous allez ouvrir les yeux et vous serez comme des dieux, vous ferez la différence entre le bien et le mal."

    La femme voit bien que les fruits de l'arbre sont comestibles. Cet arbre lui plait et elle veut y voir clair. Elle prend un fruit et elle le mange.
    Elle en donne un à son mari et il le mange.

    Tout d'un coup, Ils se rendent compte qu'ils sont tout nus. Ils prennent des feuilles figuier et ils se font des pagnes.

    A ce moment là, ils entendent les pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin, à la fraîche. Ils se cachent derrière des arbres du jardin.
    Yahvé Dieu appelle l'homme :
    "Où es-tu ?"
    "Je T'ai entendu arriver, répond l'homme, j'ai eu peur parce que je suis tout nu et alors, je me suis caché."
    Yahvé Dieu S'étonne : "Qui t'a appris que tu étais nu ? Tu as mangé un fruit dans l'arbre défendu !"
    L'homme répond : "C'est la femme que Tu as mise avec moi qui m'a donné un fruit et j'en ai mangé !"
    Yahvé Dieu dit à la femme : "Tu te rends compte de ce que tu as fait ?" et la femme Lui répond : "C'est le serpent qui m'a séduite, et résultat, j'ai mangé un fruit."
    Alors Yahvé Dieu dit au serpent : "A cause de ce que tu as fait, tu vas devenir un animal malfaisant. Tu ramperas sur ton ventre et tu mangeras de la terre toute ta vie. Je mettrai la haine entre toi et la femme, entre ton espèce et la sienne. Tu les mordras et ils t'écraseront la tête."

    À la femme, Il dit : "Je vais rendre tes grossesses douloureuses et tu souffriras pour avoir des enfants. Et parce que tu en veux toujours plus, tu resteras avec ton mari, mais c'est lui qui te commandera."
    À l'homme, il dit : "Tu as écouté ta femme et tu as mangé un fruit que J'avais interdit de manger, à cause de toi le sol sera mauvais et tu devras peiner pour produire ta nourriture, tous les jours de ta vie. Des chardons et des épines vont pousser sur le sol et toi, tu va devoir aller chercher de l'herbe dans les champs, pour manger. Tu transpireras pour manger ton pain. Jusqu'à ce qu'on t'enterre, puisque c'est de là que tu viens. Parce que tu es de la terre et que tu redeviendras de la terre !"

    L'homme appela sa femme Eve, parce qu'elle fut la mère de tous les vivants.
    Yahvé Dieu fabriqua des tuniques de peau pour l'homme et sa femme et Il les habilla. Puis Il leur dit :
    "Voilà, maintenant, l'homme est devenu comme l'un de nous, il sait ce qui est bien et ce qui est mal ! Mais maintenant, qu'il ne lève plus la main, qu'il ne cueille plus les fruits de l'arbre de vie, qu'il n'en mange plus et qu'il ne vive plus pour toujours !"

    Et Yahvé Dieu renvoya l'homme du jardin d'Éden pour qu'il aille cultiver le sol d'où il avait été tiré.
    Il bannit l'homme et il mit devant le jardin d'Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie.

    Genèse, chapitre 3
    D'après la traduction de la Bible de Jérusalem


    Copla andalou

    Tous les hommes en naissant
    ont au front une inscription,
    écrite en lettres de feu,
    qui dit : "Condamné à mort".

    Coplas, poèmes de l'amour andalou, traduit de l'espagnol par Guy LÉVIS MANO, Allia (16, rue Charlemagne 75006 Paris), 2001

    D'autres coplas sont cités en page Court de ce site.


    Albert CAMUS
    À un certain point de son chemin, l'homme absurde est sollicité

    Après ces thèmes de la mort et de la boue, quelques textes sur l'incrédulité.

    À un certain point de son chemin, l'homme absurde est sollicité. L'histoire ne manque ni de religions ni de prophètes, même sans dieux. On lui demande de sauter. Tout ce qu'il peut répondre, c'est qu'il ne comprend pas bien, que cela n'est pas évident. Il ne veut faire justement que ce qu'il comprend bien. On lui assure que c'est péché d'orgueil, mais il n'entend pas la notion de péché ; que peut-être l'enfer est au bout, mais il n'a pas assez d'imagination pour se représenter cet étrange avenir ; qu'il perd la vie immortelle, mais cela lui paraît futile. On voudrait lui faire reconnaître sa culpabilité. Lui se sent innocent. À vrai dire, il ne sent que cela,son innocence irréparable. C'est elle qui lui permet tout. Ainsi ce qu'il exige de lui-même, c'est de vivre seulement avec ce qu'il sait, de s'arranger de ce qui est certain et de ne rien faire intervenir qui ne soit certain. On lui répond que rien ne l'est. Mais ceci du moins est une certitude. C'est avec elle qu'il a affaire : il veut savoir s'il est possible de vivre sans appel.

    Le mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942


    Albert CAMUS/MOLINA
    Que tu me donnes un long délai !

    Le " Burlador " de Molina, aux menaces de l'enfer, répond toujours : " Que tu me donnes un long délai ! " Ce qui vient après la mort est futile et quelle longue suite de jours pour qui sait être vivant !

    Le mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942


    Créé 08/02/02
    Modifié 02/08/04
    Noosphère 2, 2002
    noosphere2@chez.com