Magyd CHERFI/ZEBDA
Le Petit Robert
L'ocasion de me remémorer ce que je dois moi aussi au Petit Robert. Combien d'heure passées à lire dans le Robert 2, des biographies de dix lignes qui finissaient toujours par "il meurt fou", au lieu de faire le travail pour le lendemain... Combien de temps passé à recenser les étymologies gauloises dispersées dans le Robert 1 ?
Merci en tout cas pour ces images qui m'auront fait découvrir Andréa Doria, Maillol et le cirque de Gavarnie.
Petit, j'étais largué, on dit ici "à Lourdes"
Dans ce que l'on appelle une famille lourde
L'amour y était le contraire du doute
La tête collée contre le poêle à mazout
Rêveur et j'ose même dire dans le coton
A attendre qu'on me dessine un mouton.
Mouton je l'étais jusque dans la tonsure
Mais les Brushings font pas dans la littérature
La main de ma mère était là en cas de doute
Comme un parapluie qui te protège des gouttes
De pluie, et j'ose même dire du mauvais temps
On avait rien, on était content.
Refrain
Mais c'était avant qu'on me dise dégage
Et qu'on ne me parle plus au présent
Avant qu'on déchire mes pages
Et qu'on me dise: "place et au suivant"
Avant qu'on ne me dise il n'y a plus de place assise
Et... avant qu'on ne me parle plus au présent
Avant qu'on ne me déchire une page et qu'on me dise
Avant c'était avant... et place au suivant.
Petit, j'étais gentil, j'étais même agréable
J'écrivais les deux coudes posés sur la table
J'ôtais de ma bouche les insanités
Comme un petit prince de l'humanité
Rêveur, je cédais ma place aux personnes âgées
Pour un sourire, une poignée de dragées.
J'enlevais ma casquette en entrant à l'école
Mais être poli, ça dispense pas des colles
Gentil, et tout à la fois dernier de la classe
Eveillé, comme pouvait l'être une limace
Je dormais, j'ose même le dire si profond
Et que s'écroule le plafond.
Refrain
Car j'attendais, petit prince des gloutons
Qu'on me porte à la bouche des paquets de bonbons
Y avait pas la monnaie mais c'était tout comme
Car le baiser remplaçait l'économe
Rêveur, et malgré les corvées de charbon
Ma récompense était un bisou à l'horizon
Mais dépassé le siècle où on te met au couvent
J'étais si nul, ma mêre a pris les devants
Et se pointait à l'école un chiffon dans la chevelure
La maîtresse disait "regardez ces ratures!"
Le coeur en miettes, elle faisait parler l'eau et le sel
Et s'en retournait à sa vaisselle...
Refrain
A 18 h pétantes, se pointait le maçon
Un seul regard et à l'heure des cuissons
Y disait "vous voulez qu'on nous coupe les bourses"
A ces mots une larme descend de la grande ourse
Et j'ai compris qu'il y avait qu'une façon
D'apprendre l'art de la multiplication.
Depuis j'ai plus voulu ressembler aux statues
Et j'ai laissé mes potes à la salle de muscu
Ma mère m'a jeté un bouquin sur la table
Un gros machin qui rentrait pas dans mon cartable
C'est tous ces mots qui ont allumé la lumière
Et spéciale dédicace au petit Robert.
Graffiti n° 1
DANS UN PAYS
OÙ L'ON DRESSE
UNE STATUE POUR LA LIBERTÉ
SEULE
LES STATUES SONT LIBRES
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Graffiti n° 2
DANS UN PAYS
OÙ DIEU
EST CRUCIFIÉ
SEULE
LA TORTURE EST LIBRE
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Graffiti n° 3
DANS UN PAYS
QUI NE PARLE PLUS
LA LANGUE DE SA TERRE
SEULS
LES DICTIONNAIRES SONT LIBRES
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Graffiti n° 4
DANS UN PAYS
OÙ L'ON FAIT DES IMAGES
POUR REMPLACER LE FEU
SEULE
LA TÉLÉVISION EST LIBRE
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Graffiti n° 5
DANS UN PAYS
OÙ LE PÉTROLE RECOUVRE
LES OISEAUX DE MER
SEULS
LES DÉSINFECTANTS SONT LIBRES
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Graffiti n° 6
DANS UN PAYS
OÙ L'ON PHOTOGRAPHIE
LES DERNIERS ARBRES
SEUL
LES SOUVENIRS SONT LIBRES
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Graffiti n° 7
DANS UN PAYS
OÙ L'ON HÉSITE
ENTRE LES ENFANTS ET LES CHIENS
SEULS
LES COLLIERS SONT LIBRES
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Graffiti n° 8
DANS UN PAYS
OÙ L'ON PLACE
L'HONNEUR EN LÉGION
SEULES
LES ARMÉES SONT LIBRES
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Graffiti n° 9
DANS UN PAYS
OÙ L'ON JETTE
DES PIERRES SUR L'AMOUR
SEULES
LES PIERRES SONT LIBRES
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Graffiti n° 10
DANS UN PAYS
OÙ l'ON MET DES MASQUES
SUR LE VISAGE DES FEMMES
SEULS
LES MASQUES SONT LIBRES
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Graffiti n° 11
DANS UN PAYS
OÙ L'ON PROCÈDE
A DES ESSAIS NUCLÉAIRES
SEULE
LA RADIO ACTIVITÉ EST LIBRE
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Graffiti n° 12
DANS UN PAYS
OÙ LA PENSÉE
EST MISE EN SONDAGE
SEULS
LES POURCENTAGES SONT LIBRES
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Graffiti n° 13
DANS UN PAYS
OÙ L'ON RANGE LES PEUPLES
DANS UN MUSEE DE L'HOMME
SEULS
LES MUSÉES SONT LIBRES
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Graffiti n° 14
DANS UN PAYS
OÙ L'ON ENCHAINE
L'UTOPIE DANS DES ASILES
SEULES
LES CAMISOLES SONT LIBRES
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Graffiti n° 15
DANS UN PAYS
OÙ L'ON RASSEMBLE
CENT MILLE ENFANTS DANS UN STADE
SEULS
LES STADES SONT LIBRES
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Graffiti n° 16
DANS UN PAYS
OÙ L'ON DRESSE ENCORE
UN PALAIS POUR LA JUSTICE
SEUL
LE MENSONGE EST LIBRE
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Graffiti n° 17
DANS UN PAYS
OÙ LES POÈTES SONT ENFERMÉS
DANS LES PRISONS
SEULES
LES PRISONS SONT LIBRES
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Graffiti n° 18
CECI N'EST PAS UN POÈME
CE SONT DES ÎLES
QUI INVENTENT
LA MER
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Armand Gatti
L'Improvisation de Kreutzberg
Berliner Zeitung bz
Compagnes Compagnons de Berlin comme si nous étions à Kronstadt
Nous sommes morts (condamnés à mourir jusqu'à quand ?) dans une ville que nous ne connaissons pas. Une ville en insurrection (certes) dont nous avons ramené quelques bribes par ici, par là, avec à la main un fusil sur la gâchette duquel nous n'avons jamais appuyé, avec sur nos livres des mots dont nous n'avons pas le savoir, avec des hommes dont nous n'avons les visages que par recoupement. Nous sommes morts (condamnés à mourir jusqu'à quand ?) dans une ville qui il y a 50 ans s'appelait...
Compagnes compagnons
Si nous voyons notre combat dans l'éclairage d'une Vérité en Exil, nous sommes condamnés à la stérilité (et à force de stérilités élues, défenestrées, proclamées, réhabilitées) à la dérision.
Nos réalités sociales - un brouillon que chacun s'acharne à copier sur le voisin - ont besoin de mensonges pour être admises, donc des mots. Malheureusement Dieu devient Dieu quand on le nomme mais pas la révolution. Un homme nouveau avec les mots de l'homme ancien c'est une révolution qui s'écrase avant même d'avoir déplié ses ailes. Nous arpentons ce que nous croyons être le futur avec toujours le même chemin de croix se terminant toujours avec les mêmes mots : mon-père-mon-père-pourquoi-m'avez-vous-abandonné ?
Là où on attend la fête c'est le sacrifice (toujours lui) qui installe ses piquets. Que cherchent nos promesses en dehors de se dévorer avec des mots venus d'autres expériences que celles de nos nécessités ?
Compagnes compagnons
A Berlin, on meurt pour la Révolution mais on ne la fait pas. Etait-ce le mal vieux d'un siècle dont souffrait Georg Von R. et qui l'avait amené dix jours avant Noël au rendez-vous de la rue aux quatre cimetières ?
Compagnes compagnons
Qui se souvient du langage-récréation et des contacts qu'il a gardés avec l'écriture du vent et de la pluie ? Quels mots ont-ils conservés le rythme des oiseaux, des saisons et des poissons dans les rivières. Ces rythmes nous gouvernent et nous croyons les renverser en exterminant leur représentant. Le langage-récréation est devenu le langage-tourmente. Et de plus il est condamné à être sans dialogue. C'est sûr que nous allons crever sous notre propre merde. Et après ?
Compagnes compagnons
Le dire n'est qu'un alignement de taudis hanté par l'infini qu'ils sont seuls à voir parce que leurs fenêtres en papier huilé sont seules à les nommer. Il suffoque sous le vide qu'il crée pour respirer.
Et l'hôpital désaffecté de Kreutzberg ?
Compagnes compagnons
La nuit des barricades il n'y avait à Paris qu'un seul univers mis en place où chacun selon l'humeur venait boire. Cet univers unique, nos spectacles l'ont cherché dans la rue (jusqu'à la place centrale de Kronstadt) et ne l'ont point trouvé. Notre manif l'a cherché jusqu'au mur et ne l'a point trouvé. Votre occupation ne le trouvera pas davantage dans cet hôpital désaffecté. Il accompagne (à votre insu, comme à celui des Gattis qui m'ont donné rendez-vous à la gare de la Friedrichstrasse) l'enfant de mai, fugitif se (nous) cherchant dans toutes les rues du monde. Pour lui, spectacle, manif, occupation de la rue ne chercheront plus à effacer une mort mais l'attente de la mort (les usines ne sont rien d'autre).
Compagnes compagnons
Nous sommes morts (condamnés à mourir jusqu'à quand ?) dans une ville qui il y a cinquante ans s'appelait Kronstadt. Elle continue à s'appeler Kronstadt car depuis Kronstadt fait partie de toutes les villes du monde et nous y mourons jour après jour, avec des complicités d'il y a cinquante ans, des mots d'ordre comme des poissons sur la terre sèche échappant aux catégories qui nous décrivent. Est-ce un combat que de s'adapter au passé et aux pseudo-événements dont il nous persécute et dans lesquels il nous cloisonne ?
Compagnes compagnons
Si nous ne trouvons pas les mots qui permettront aux choses de nous voir différemment et si nous ne nous multiplions pas à l'intérieur de cette vision, nous sommes condamnés. Par nous. Si nous ne pouvons construire le Saïgon mythique construit par les clandestins, avec leurs paysages, leurs planques, leurs lignes de force, leur rendez-vous et les signes d'intelligence qui les protègent - un Saïgon qui n'a rien à voir avec le Saïgon officiel, celui du pouvoir, tout en étant le même Saïgon - une ville plus vraie que celle dans laquelle nous sommes et dont tous les mécanismes sont dans nos têtes à l'état de frein, nous sommes morts (condamnés à mourir jusqu'à quand ?) dans une ville que.
Compagnes compagnons
(Publié dans la revue AXOLOTL n° 1)
In Quoi de neuf ? Victor Hugo ! Victor Hugo et les poètes contemporains
Disque CNDP, 2002. Enregistrement des lectures diffusées sur France Culture dans Poésie sur parole (émission d'André Velter, Jea, Baptiste Para et Vanessa Nadjar) lors de la semaine consacrée à Victor HUGO, en 2002.