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Mort, pourquoi ne pas en parler ?
Ça n'est pas mon sujet favori, mais on connaît tous la fin de l'histoire...

Lors d'une dispute, une belle dame eût ce mot : "A quoi ça sert de se fâcher comme ça ? Nous sommes tous mourants."
Comme elle a bien résumé la situation !

Buste féminin en cristal de roche, début du XVIe s, d'après un modèle de Tullio Lombardo Au programme de cette page :
mort,
crimes et criminels,
maladie,
attente,
assassins,
naissance,
liberté et j'en passe...


  • Copla andalou
  • Jules SUPERVIELLE, Attente de la mort
  • Albert CAMUS, Je vois Don Juan dans une cellule...
  • Mohammed AL-AS'AD, La terre meurt aussi
  • Mou'in BSISSOU, Toi, moi et lui
  • Nelly SACHS, Mains...
  • Peter HUCHEL, Ophélie
  • PINDARE, Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle...
  • Elias CANETTI, Le plus hardi de la vie...
  • Armand ROBIN, Je suis avec vous tous...

  • Copla andalou

    Tous les hommes en naissant
    ont au front une inscription,
    écrite en lettres de feu,
    qui dit : "Condamné à mort".

    Coplas, poèmes de l'amour andalou, traduit de l'espagnol par Guy LÉVIS MANO, Allia (16, rue Charlemagne 75006 Paris), 2001


    Jules SUPERVIELLE
    Attente de la mort

    Une paillotte au Paraguay
    Où j'attendrais dans un hamac
    Celle qui vient bien toute seule.

    Un boeuf gris passerait la tête
    Et ruminerait devant moi,
    J'aurais tout le temps de le voir.

    Un chien entrerait assoiffé,
    Et courant à mon pot à eau
    Il y boirait, boirait, boirait.

    Enfin il me regarderait
    Et de sa langue rouge et claire
    Des gouttes tomberaient à terre.

    Des oiseaux couperaient le jour
    De la porte dans leur vols vifs.
    Et pas un homme pas un homme !

    Je serai moi-même évasif.

    Débarcadères, 1956


    Albert CAMUS
    Je vois Don Juan dans une cellule...

    Je vois Don Juan dans une cellule de ces monastères espagnols perdus sur une colline. Et s'il regarde quelque chose, ce ne sont pas les fantômes des amours enfuies, mais, peut-être, par une meurtrière brûlante, quelque plaine silencieuse d'Espagne, terre magnifique et sans âme où il se reconnaît. Oui, c'est sur cette image mélancolique et rayonnante qu'il faut s'arrêter. La fin dernière, attendue mais jamais souhaitée, la fin dernière est méprisable.

    Le mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942


    Mohammed AL-AS'AD
    La terre meurt aussi

    Avec quelle confiance
    les étoiles
    peuvent-elles briller
    et les arbres nus
    offrir leur ombre ?
    Avec quelle confiance
    nos échos peuvent-ils résonner
    quand nous quittons les rues
    pour les maisons
    et que nous fermons les portes en disant :
    Nos témoins parlent-ils de nous ?
    Avec quelle confiance
    pouvons-nous nous laisser aller
    à la langue
    aux discussions
    comme si nous n'étions pas seuls
    comme si les autres
    les journaux
    la télévision
    les horaires de l'avion
    partageaient notre café ?
    La terre meurt aussi
    et les routes désertiques
    les maisons isolées
    dans la campagne perdue
    les lumières opaques des villes
    au fond de la nuit
    La terre meurt aussi
    les diplômes universitaires
    le jus de fruits quotidien
    et la mélancolie du crépuscule
    L'inquiétude n'est pas dans l'âme
    seulement
    elle est dans ce calme lisse
    qui s'entasse sur les bureaux
    les meubles des maisons
    les cuillers à café
    le berceau paisible de l'enfant
    au coin de la chambre
    Pourquoi nous laisse-t-on soudainement
    sans saisons
    sans cieux
    sans mères ?
    Tous déclinent
    et tombent
    de nos fenêtres
    de nos feuilles
    et nos discussions à bâtons rompus
    Tous
    nous quittent
    jusqu'à ce que nous revenions seuls
    devant les portails des musées
    des supermarchés
    des ports fermés
    tels des trottoirs désertés
    avec un peu d'herbe rabougrie
    à la fin de l'été

    La terre meurt aussi
    Elle ne peut pas nous prendre
    martyrs
    ou prophètes
    nous qui sommes supprimés
    sans signe
    qui puisse conduire à notre absence
    nous qui sommes répandus
    comme une tendresse qui n'a guère de traduction
    nous qui émigrons
    comme les nuits débridées
    au-dessus des déserts inexplorés

    La poésie palestinienne contemporaine, choix des textes et traduction de Addellatif LAÂBI, Le temps des cerises et la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, 2002


    Mou'in BSISSOU
    Toi, moi et lui

    Il n'y avait pas d'arbres dans son vocabulaire
    pas de fleurs
    Dans son vocabulaire, il n'y avait pas d'oiseaux
    Il ne savait que ce qu'on lui avait appris
    tuer les oiseaux d'abord
    et il a tué les oiseaux
    haïr la lune ensuite
    et il a haï la lune
    avoir un coeur de pierre
    et il a eu un coeur de pierre
    Et puis s'écrier :
    « Vive n'importe quoi »
    « A bas n'importe quoi »
    « A mort n'importe quoi »

    Il n'y avait pas d'arbres dans son vocabulaire
    Dans son vocabulaire, il n'y avait pas
    toi et moi
    car il devait nous tuer
    Il ne savait
    que ce qu'on lui avait appris
    nous tuer
    toi et moi

    La poésie palestinienne contemporaine, choix des textes et traduction de Addellatif LAÂBI, Le temps des cerises et la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, 2002


    Nelly SACHS

    Mains
    Des jardiniers de la morts
    Vous qui des camomilles en berceaux
    Prospères dans les rudes terres
    Ou le long de la pente,
    Avez cultivé la mort
    Monstre des serres de votre industrie.
    Mains,
    Brisant le tabernacle du corps
    Happant, carnassières de tigre,
    Les signes des secrets-
    Mains,
    Que faisiez-vous
    Lorsque vous étiez mains de petits enfants ?
    Teniez-vous un harmonica, la crinière
    D'un cheval à bascule, avez-vous dans l'obscurité saisi la jupe d'une mère
    Montré un mot dans un livre de lecture-
    Etait-ce Dieu peut être, ou homme ?

    Ô toi main qui étrangle,
    Ta mère était-elle morte,
    Ta femme, ton enfant,
    Que tu n'aies plus que la mort dans ta main,
    Dans cette main qui étrangle ?

    Eclipse d'étoile
    Traduit de l'allemand par Mireille GANSEL
    Verdier, 1999


    Peter HUCHEL
    Ophélie

    (Septembre 1965, dans la nuit les gardes frontières de la RDA abattent une jeune fille qui tentait de franchir la Spree à gué)
    A Nelly SACHS

    Plus tard, le matin,
    aux premières lueurs blanches
    le bruit des bottes qui pataugent
    dans la vase des eaux,
    le heurt des perches qu l'on pousse,
    un ordre rauque,
    ils soulèvent la boueuse
    nasse des barbelés.

    Pas de royaume,
    Ophélie
    où un cri
    creuse l'eau
    où par magie
    la balle
    contre la feuille de saule vole en éclats.

    Au soir approchent les amis
    Traduit de l'allemand par Mireille GANSEL
    Ed. Toni Pongratz Verlag


    PINDARE, Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle...

    Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible.

    3e Pythique
    Cité par Albert CAMUS, Le mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942


    Elias CANETTI
    Le plus hardi de la vie...

    Le plus hardi de la vie, c'est la haine de la mort.

    Cité par Alain BOURDON dans Armand Robin ou la passion du verbe, Seghers, 1981


    Armand ROBIN
    Je suis avec vous tous...

    Je suis avec vous tous
    Je suis votre peur de la mort.

    Cité par Alain BOURDON dans Armand Robin ou la passion du verbe, Seghers, 1981


    Créé 08/02/02
    Modifié 22/08/04
    Noosphère 2, 2003
    noosphere2@chez.com