Page d'accueil : retour



Curieux phénomènes qu'un retour.
Il suffit qu'un déplacement nous ramène vers un lieu où nous avons déjà vécu pour que ce ne soit plus un déplacement comme les autres.

Le retour des saisons et des fêtes annuelles est aussi un curieux phénomène. En particulier lors des fêtes de famille.

À moins que ce ne soit la famille le curieux phénomène...

  • René Guy CADOU, Quand il revint au hameau...
  • Georges SCHEHADE, Poésies III, XVII
  • Georges SCHEHADE, Le nageur d'un seul amour, IX
  • Henry BAUCHAU, Le retour
  • Nâzim HIKMET, Autobiographie

  • René Guy CADOU

    Quand il revint au hameau
    Il savait de tragiques histoires
    Où les loups égorgent la lune
    Aux ronds-points des forêts.
    Il avait dans sa veste un godet de ciel bleu
    Des images marines
    De quoi convaincre sans peine les voisins.
    Le malheur fut qu'il reconnut ses frères
    Occupés à rouir leurs chevelures
    Il tenta de les rejoindre
    mais le courant surpris par une ondée nouvelle
    Coula sa barque de mica.

    Forges du vent, 1938
    In Poésie la vie entière, oeuvres poétiques complètes, Seghers, 2001


    Georges SCHEHADE
    XVII

    Un corbeau parle sur la montagne
    Ma mère en son pays se souvenait

    Quelle pourriture ou quelle nacre
    Si jamais je reviens ô fontaine
    Si l'ombre d'un arbre me conserve son jour

    Poésies III
    Lu in leb.net/~philo/poesies.html


    Georges SCHEHADE
    IX

    Si jamais tu reviens en terre natale
    À pas lents comme un cheval dont le soir accroît la fatigue
    Oh va dans ce jardin
    Retrouver la rose méconnaissable
    Le chrysanthème à la crinière de lion
    - D'immenses araignées volent avec des papillons
    Comme dans les fièvres de l'enfance
    Souris ou pleure mais ne crains rien
    C'est l'ombre qui remue avant d'être nuit claire.

    Le nageur d'un seul amour, 1985
    Lu in leb.net/~philo/nageur.html


    Henry BAUCHAU
    Le retour

    Tu es revenu et la neige tombait, tu es entré dans le nuage

    On est entouré de messages, le cœur découvre son retrait

    Dans une ombre de jour une biche passait, son mouvement ressemble à la neige qui tombe

    La neige est une eau sans image, ô neige comme un sacrement

    La Chine intérieure, Actes Sud, 2003 (édition originale, Seghers, 1974)


    Nâzim HIKMET
    Autobiographie

    Je suis né en 1902
    Je ne suis jamais revenu dans ma ville natale
    Je n'aime pas les retours.
    A l'âge de trois ans à Alep, je fis ma profession de petit-fils de pacha
    à dix-neuf ans, d'étudiant à l'université communiste à Moscou
    à quarante-neuf ans à Moscou, d'invité du Comité Central,
    et depuis ma quatorzième année, j'exerce le métier de poète
    Il y a des gens qui connaissent les diverses variétés de poissons
    moi celles des séparations.
    Il y a des gens qui peuvent citer par coeur le nom des étoiles,
    moi ceux des nostalgies.
    J'ai été locataire et des prisons et grands hôtels,
    J'ai connu la faim et aussi la grève de la faim et il n'est pas de mets dont j'ignore le goût.
    Quand j'ai atteint trente ans on a voulu me pendre,
    à ma quarante huitième année on a voulu me donner le Prix mondial de la Paix
    et on me l'a donné.
    Au cours de ma trente-sixième année, j'ai parcouru en six mois quatre mètres carrés de béton.
    Dans ma cinquante-neuvième année j'ai volé de Prague à La Havane en dix-huit heures.
    Je n'ai pas vu Lénine, mais j'ai monté la garde près de son catafalque en 1924.
    En 1961 la mausolée que je visite, ce sont ses livres.
    On s'est efforcé de me détacher de mon Parti
    ça n'a pas marché
    Je n'ai pas été écrasé sous les idoles qui tombent.
    En 1951 sur une mer, en compagnie d'un camarade, j'ai marché vers la mort.
    En 1952, le coeur fêlé, j'ai attendu la mort quatre mois allongé sur le dos.
    J'ai été fou de jalousie des femmes que j'ai aimées.
    Je n'ai même pas envié Charlot pour un iota.
    J'ai trompé mes femmes
    Mais je n'ai jamais médit derrière le dos de mes amis.
    J'ai bu sans devenir ivrogne,
    Par bonheur, j'ai toujours gagné mon pain à la sueur de mon front.
    Si j'ai menti c'est qu'il m'est arrivé d'avoir honte pour autrui,
    J'ai menti pour ne pas peiner un autre,
    Mais j'ai aussi menti sans raison.
    J'ai pris le train, l'avion, l'automobile,
    La plupart des gens ne peuvent les prendre.
    Je suis allé à l'opéra
    la plupart des gens ne peuvent y aller et en ignorent même le nom,
    Mais là où vont la plupart des gens, je n'y suis pas allé depuis 1921 :
    à la Mosquée, à l'église, à la synagogue, au temple,
    chez le sorcier,
    mais j'ai lu quelquefois dans le marc de café.
    On m'imprime dans trente ou quarante langues
    Mais en Turquie je suis interdit dans ma propre langue.
    Je n'ai pas eu de cancer jusqu'à présent,
    On n'est pas obligé de l'avoir
    je ne serai pas Premier ministre, etc.
    et je n'ai aucun penchant pour ce genre d'occupation.
    Je n'ai pas fait la guerre,
    Je ne suis pas descendu la nuit dans les abris,
    Je n'étais pas sur les routes d'exode,
    sous les avions volant en rase-mottes,
    mais à l'approche de la soixantaine je suis tombé amoureux.
    En bref, camarade,
    aujourd'hui à Berlin, crevant de nostalgie comme un chien,
    Je ne puis dire que j'ai vécu comme un homme
    mais le temps qu'il me reste à vivre,
    et ce qui pourra m'arriver
    qui le sait ?


    Berlin-Est, le 11 septembre 1961

    Créé 30/12/02
    Noosphère 2, 2002
    Dernière modification : 31/10/04
    noosphere2@chez.com