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La Fortune, Tarot Visconti, XIVe s Pour tous ceux qui ne vivent pas là où ils le veulent.

Et pour tous ceux qui on l'impression de ne pas être à leur place là où ils vivent.

  • Addellatif LAÂBI, Question
  • Armand ROBIN, Longtemps j'eus pour centre du monde...
  • Mourid AL-BARGHOUTI, Exception
  • Bosko TOMASEVIC, Nous faisons la queue, Seigneur
  • Hubert Félix THIÉFAINE, La queue
  • Henry BAUCHAU, La nuit close
  • Nelly SACHS, Voici des fugitifs, l'heure planétaire...
  • Nelly SACHS, Des pas d'émigrants... (en cours de saisie)
  • Nelly SACHS, Terre, vieillard des planètes...
  • Nelly SACHS, Ils sont prêts...
  • Nelly SACHS, Chasseur
  • GUILLEVIC, Pitié pour les bêtes...

  • Addellatif LAÂBI, Question

    Chaque jour appporte sa question. Celle d'aujourd'hui a trait au lieu. Je ne sais comment la formuler. Je pars du sentiment que j'ai un problème de lieu, ou plutôt un problème de mon rapport au lieu : ma façon d'y être et de ne pas y être, d'y évoluer comme s'il m'était demeure et territoire, lors que la terre se dérobe sous mes pieds quand j'essaie de me fixer quelque part. Une partie de moi est donc toujours ailleurs, relève de cet ailleurs. Elle ne m'appartient que dans la mesure où elle prépare l'émergence d'un autre lieu où je ne me sentirais pas plus mal. Au fond, le deuil articule bien ce jeu de bascule que j'ai pu mythifier dans le passé en développant le thème du retour. Deuil de quoi ? D'une vie sédentaire peu propice aux troubles de la poésie ? D'une maison solide de l'être où je connaîtrais enfin les joies de la contemplation ? D'un toit abritant le patrimoine que je léguerais à ma progéniture ?
    Mais alors, quelle est la question aujourd'hui ?
    Il faudrait qu'elle soit simple, dépouillée. La contradiction devrait y apparaître clairement, avoir la force d'un dilemne. Et puis, avec la hantise de la forme qui est la mienne, il ne faudrait pas que je néglige l'effet de surprise.
    Voilà, je crois que je l'ai sur le bout de la langue. Je ne sais pas si elle va tenir compte de mes consignes. Elle sort de ces méandres et tombe comme une météorite : y a-t-il un devoir d'exil ?

    L'étreinte du monde, La Différence, 2001


    Armand ROBIN
    Longtemps j'eus pour centre du monde...

    Longtemps j'eus pour centre du monde Sinaï, Délos et Béthléem. Un jour je me suis exilé, j'ai quitté les sites ordonnancés, les sagesses aux apparences limitées, les dieux tombant seulement de la plus haute colline. Etranger muet, je partis ; sur des plateaux isolés mes pas ne firent pas de bruit, ne laissèrent pas de trace ; je m'enfonçais dans une grande argile.

    Cité par Alain BOURDON dans Armand Robin ou la passion du verbe, Seghers, 1981


    Mourid AL-BARGHOUTI
    Exception

    Tous parviennent à destination
    le fleuve, le train
    la voix, le navire
    la lumière, les lettres
    le télégramme de condoléances
    l'invitation au dîner
    la valise diplomatique
    le vaisseau spatial
    Tous parviennent à destination
    sauf... mes pas vers mon pays

    La poésie palestinienne contemporaine, choix des textes et traduction de Addellatif LAÂBI, Le temps des cerises et la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, 2002


    Bosko TOMASEVIC
    Nous faisons la queue, Seigneur

    NOUS FAISONS LA QUEUE, SEIGNEUR, dans la file du temps et bien que nous ne soyons pas des anges, cela nous prépare à voyager dans l'isolement de la vie en pays étranger. L'automne se rapproche ainsi des langues peintes, il approfondit le crépuscule des fenêtres, pénètre en mon âge. Celui de l'éparpillement.

    Bosko TOMASEVIC
    Celan études et autres poèmes
    Traduit du serbo-croate par Mireille ROBIN
    Librairie bleue, Espace Argence 10000 Troyes, 1994


    Prolongement sur le thème de la queue...

    Hubert Félix THIÉFAINE
    La queue

    J'ai fait la queue à la soupe populaire.
    J'ai fait la queue devant les pissotières.
    J'ai fait la queue dans les petits coins pervers
    Avec ma réduction étudiant-militaire.
    J'en ai ma claque de faire la queue.

    J'ai fait la queue avec mon sac à dos
    Chez les t'as-pas-100-balles ? Chez les babas schizos.
    J'ai fait la queue pour jouer les héros
    Avec mon casque à pointe et mes pinces à vélo.
    J'en ai ma claque de faire la queue.

    Alors je me mets à rêver
    Que je suis un slip de carmélite
    Que personne ne peut ne toucher
    Sans se noyer dans l'eau bénite.

    J'ai fait la queue pour être solidaire
    De bastille à nation, par devant, par derrière.
    J'ai fait la queue avec la France entière,
    Avec le samedi-soir le touche-touche hebdomadaire.
    J'en ai ma claque de faire la queue.

    J'ai fait la queue avec mon numéro,
    Ma bagnole et mon chien, ma femme et mon frigo.
    J'ai fait la queue chez mon papa-psycho
    Qui m'aide à faire la queue chez mon alter-ego.
    J'en ai ma claque de faire la queue.

    Alors je rêve d'être un fusil,
    Un bazooka, un bombardier
    Ou bien encore un champs de mines
    Ou tu viendrais te faire sauter.

    J'ai fait la queue pour chercher la lumière
    Chez Darty, chez Moon, chez Glucksman, chez Jobert.
    J'ai fait la queue pour chauffer ma cuillère
    Avec le désir fou d'être enfin solitaire.
    J'en ai ma claque de faire la queue.

    Alors je rêve d'être un tombeau
    Avec des lumières tamisées
    Ou je pourrais compter mes os
    En attendant l'éternité.
    Oh, oui! je rêve d'être un tombeau
    Avec des lumières tamisées
    Ou je pourrais compter mes os
    En attendant l'éternité.

    Autorisation de délirer, Masq


    Henry BAUCHAU
    La nuit close

    Je reviens à la gare de Lyon, la fatigue à minuit fait peser ma valise.

    Le train va jusqu'en Orient, les gens sont tristes ou gais dans la langue des pays pauvres.

    Les gens pleurent, les gens s'embrassent sur le quai, je ne fais que chercher une place où m'étendre.

    Il y a des Italiens et deux grecs, l'un est beau. Quelqu'un a fermé la fenêtre.

    Je vois passer en vain les arbres dépouillés, je ne trouve pas facile d'aimer le hommes en train.

    Je suis reclu, je suis perdu dans mon sommeil qui ressemble à un animal

    Ô nuit des animaux furtifs. Nuit du renard et du blaireau, nuit de la noctuelle.

    La Chine intérieure, Actes Sud, 2003 (édition originale, Seghers, 1974)


    Sur ces thèmes de la queue et de l'éparpillement, lire aussi L'arche de Noé de Nino FERRER et Soleil cherche futur d'Hubert Félix THIÉFAINE, en page Nature.


    Éparpillement de Bosko TOMASEVIC, individu aligné de THIÉFAINE.
    Nelly SACHS élargit :

    Nelly SACHS, Voici des fugitifs, l'heure planétaire...

    Voici des fugitifs, l'heure planétaire.
    Voici des fugitifs l'exode lancinant
    dans ce haut mal, la mort !

    Voici la chute stellaire hors des captivités magiques
    du seuil, du foyer, du pain.

    Voici la pomme noire de la connaissance,
    la peur ! Soleil d'amour éteint
    qui fume ! Voici la fleur de la hâte,
    en goutte de sueur ! Voici les chasseurs
    tout de néant, d'exode seulement.

    Voici des proies qui dans les tombes emportent
    leur mortelles cachettes.

    Voici le sable, effrayé
    avec des guirlandes d'adieu.
    Voici la terre qui s'élance dans l'immensité,
    à bout de souffle
    dans l'humilité de l'air.

    Et personne n'en sait davantage in Exode et métamorphose, traduit de l'allemand par Mireille GANSEL, Verdier, 2002


    Nelly SACHS, Des pas d'émigrants...

    Exode et métamorphose, traduit de l'allemand par Mireille GANSEL, Verdier, 2002


    Nelly SACHS, Terre, vieillard des planètes...

    TERRE, VIEILLARD DES PLANÈTES, tu aspires mon pied
    qui va s'envoler,
    ô Roi Lear portant la solitude dans tes bras.

    Les pleurs de tes yeux marins enfouissent
    les décombres de souffrances
    au fond du monde des âmes.

    Sur les mille millénaires de tes boucles d'argent
    la couronne de fumée terrestre, étoilée de démence
    dans l'odeur d'incendie.
    Et tes enfants

    qui déjà jettent ton ombre de mort,
    tandis que tu tournes et tournes
    sur ton orbite,
    mendiant de la Voie Lactée,
    avec le vent pour chien d'aveugle.

    Et personne n'en sait davantage
    in Exode et métamorphose, traduit de l'allemand par Mireille GANSEL, Verdier, 2002


    Nelly SACHS, Ils sont prêts...

    ILS SONT PRÊTS à se lever, tous les pays
    de la mappemonde.
    A secouer leur peau d'étoiles,
    attacher sur leur dos
    les balluchons bleus de leurs mers,
    poser leurs montagnes aux racines de feu
    en guise de casquette sur leurs cheveux de fumée.

    Prêts à porter dans leur valise
    tout le poids de la mélancolie, cette chrysalide
    sur les ailes de laquelle un jour
    ils achèveront le voyage.

    Et personne n'en sait davantage
    in Exode et métamorphose, traduit de l'allemand par Mireille GANSEL, Verdier, 2002


    Nelly SACHS, Chasseur

    CHASSEUR
    ma constellation
    vise
    au point secret du sang : inquiétude...
    et le pas s'envole sans refuge -

    Or le vent n'est pas une maison,
    il lèche seulement comme font les animaux
    les plaies sur le corps -

    Mais comment tirer les fils du temps
    de l'écheveau d'or du soleil ?
    Pour le cocon du papillon à soie
    dévider
    la nuit ?

    Ô obscurité
    élargis ta mission
    le temps d'un battement de cils :

    Quiétude dans l'exode.

    Exode et métamorphose, traduit de l'allemand par Mireille GANSEL, Verdier, 2002


    GUILLEVIC
    Pitié pour les bêtes...

    Pitié pour les bêtes
    Qui n'ont pas de nuit.

    Du domaine, Gallimard, 1977
    D'autres extraits en page Court


    Créé 30/03/03
    Modifié 22/08/O4, 24/01/05
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