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Christian BOBIN
Il nous faut devenir adultes pour comprendre que les adultes n'existent pas et que nous avons été élevés par des enfants que l'armure de nos rires rendaient faussement invulnérables.
L'éloignement du monde, Lettre vives, collection Entre 4 yeux, 1993
Rainer Maria RILKE
Certes nous grandissions...
Wir wuchsen freilich...
(extrait)
Certes nous grandissions, impatients parfois
d'être des grands, à demi par amour pour ceux
auxquels ne restait rien que d'être cela.
Wir wuchsen freilich und wir drängten manchmal,
bald groS zu werden, denen halb zulieb,
die andres nicht mehr hatten, als das GroSsein.
La quatrième élégie/Die vierte Elegie
Élégies de Duino, traduit par François-René DAILLIE, La Différence, 1994
Abdellatif LAÂBI, Regarde mon amour...
(extrait)
...
Pourquoi pleures-tu
Est-ce pour ce monde englouti
ou pour ce monde qui s'écroule
Pour l'enfant ou pour l'adulte
Pouvons-nous choisir entre deux adieux
nous résoudre à l'adieu
alors que le miracle est là
nos pouls qui battent paisiblement
jouent leur symphonie
poignet contre poignet
même si les armes parlent
à la place des poètes ?
...
L'étreinte du monde, La Différence, 2001
HOUEÏ-NENG, Le vrai miracle...
En écho au vers du poème précédent (alors que le miracle est là...)
Le vrai miracle est de marcher sur la terre.
Cité par Henry BAUCHAU, La Chine intérieure, Actes Sud, 2003
Jamel Carroussi / Au P'tit Bonheur
J'veux du soleil
J'suis resté qu'un enfant
Qu'aurait grandi trop vite
Dans un monde en super plastique
Moi j'veux retrouver... Maman !
Qu'elle me raconte des histoires
De Jane et de Tarzan
De princesses et de cerfs-volants
J'veux du soleil dans ma mémoire.
J'veux du soleil
J'veux du soleil
J'veux du soleil
J'veux du soleil
J'veux traverser des océans
Et devenir Monte-Christo
Au clair de lune
M'échapper de la citadelle
J'veux devenir roi des marécages
Me sortir de ma cage
Un Père Noël pour Cendrillon
Sans escarpin...
J'veux du soleil
J'veux du soleil
J'veux du soleil
J'veux du soleil
J'veux faire danser Maman
Au son clair des grillons
J'veux retrouver mon sourire d'enfant
Perdu dans le tourbillon
Dans le tourbillon de la vie
Qui fait que l'on oublie
Que l'on est resté des mômes
Bien au fond de nos abris.
Paroles et Musique: Jamel Carroussi, BMG Music, 1991
Renaud SÉCHAN Mistral gagnant
A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu'y en a
Te parler du bon temps qu'est mort ou qui r'viendra
En serrant dans ma main tes p'tits doigts
Pis donner à bouffer à des pigeons idiots
Leur filer des coups d' pieds pour de faux
Et entendre ton rire qui lézarde les murs
Qui sait surtout guérir mes blessures
Te raconter un peu comment j'étais mino
Les bonbecs fabuleux qu'on piquait chez l'marchand
Car-en-sac et Minto, caramel à un franc
Et les mistrals gagnants
A r'marcher sous la pluie cinq minutes avec toi
Et regarder la vie tant qu'y en a
Te raconter la Terre en te bouffant des yeux
Te parler de ta mère un p'tit peu
Et sauter dans les flaques pour la faire râler
Bousiller nos godasses et s'marrer
Et entendre ton rire comme on entend la mer
S'arrêter, r'partir en arrière
Te raconter surtout les carambars d'antan et les cocos bohères
Et les vrais roudoudous qui nous coupaient les lèvres
Et nous niquaient les dents
Et les mistrals gagnants
A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder le soleil qui s'en va
Te parler du bon temps qu'est mort et je m'en fou
Te dire que les méchants c'est pas nous
Que si moi je suis barge, ce n'est que de tes yeux
Car ils ont l'avantage d'être deux
Et entendre ton rire s'envoler aussi haut
Que s'envolent les cris des oiseaux
Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie
Et l'aimer même si le temps est assassin
Et emporte avec lui les rires des enfants
Et les mistrals gagnants
Et les mistrals gagnants
Paroles: Renaud Séchan. Musique: Renaud Séchan, Franck Langolff.
Mistral Gagnant, 1985
COLETTE
Ils ont huilé la grille...
Il a, quoi qu'elle en eût, échappé à la musique, puis
aux études de pharmacie, puis successivement à tout,
- à tout ce qui n'est pas son passé de sylphe. A mes
yeux, il n'a pas changé : c'est un sylphe de soixante-trois
ans. Comme un sylphe, il n'est attaché qu'au lieu natal ;
à quelque champignon tutélaire, à une feuille recroquevillée en manière de toit. On sait que les sylphes vivent
de peu, et méprisent les grossiers vêtements des hommes :
le mien erre parfois sans cravate, et long-chevelu. De dos,
il figure assez bien un pardessus vide, ensorcelé et vagabond.
Sa modeste besogne de scribe, il l'a élue entre toutes,
pour ce qu'elle retient, assise, à une table, sa seule et
fallacieuse apparence d'homme. Tout le reste de lui,
libre, chante, entend des orchestres, compose, et revole
à la rencontre du petit garçon de six ans qui ouvrait toutes
les montres, hantait les horloges municipales, collectionnait les épitaphes, foulait sans fatigue les mousses élastiques et jouait du piano de naissance... Il le retrouve aisément, revêt le petit corps agile et léger qu'il n'a jamais
quitté longtemps, et il parcourt un domaine mental où
tout est à la guise et à la mesure d'un enfant qui dure
victorieusement depuis soixante années.
Il n'est pas - quel dommage!... - d'enfant invulnérable. Celui-ci, pour vouloir confronter son rêve exact avec une réalité infidèle, m'en revient déchiré, parfois...
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Hubert Félix THIÉFAINE
Variations autour du complexe d'Icare
J'ai oublié mon cerveau
Dans mon cartable au fond de l'auto
Maman, maman
Cours vite me le chercher
Je suis perdu sans
Je suis perdu sans
Je perds du sang
Qu'est-ce qui m'arrive ?
Je perds mon sang
Je perds mon sang-froid
J'ai froid
Froid
Je n'aurais pas dû aller à l'école aujourd'hui
Ils m'ont encore battu
Ils m'ont encore battu
Ils m'ont encore battu
Battu
Battu
Bat tu bats le tapis hein ?
Tu bats le tapis ?
Oh !
Le tapis s'envole
Le tapis s'envole
Je suis sur le tapis
Je suis sur le tapis
Je vole
Maman, maman regarde
Je vole
Je vole
Maman, maman
Adieu maman
Un Icare en appelle un autre, tout aussi gai.
Azeddine AL-MANACIRAH
La cirrhose d'Icare
Entre Icare et moi, des années-lumière
Malgré cela, nous nous rencontrons
en un seul point du monde
nuitamment, sans être vus de personne
même si la nuit, à Beyrouth par exemple
ne suffit pas à cacher les secrets
C'est un homme étrange
Son acte est une erreur qui ne se répète pas comme la dynamite
nous a dit l'instructeur
Avant d'accomplir son acte
il était affecté d'une cirrhose
dont seuls ses proches connaissaient le secret
Lui est le fils de la mer, elle la descendante du feu
Lui est le fils de l'oiseau, elle descend de l'arbre des dissidences
Malgré cela, je m'attends
à ce que l'Histoire se répète
Oui, monsieur, parfois elle se répète
Lui se brûlera à son soleil
et moi, l'exil me fera fondre
Lui s'unira à la cape de l'herbe céleste
et moi je pourrirai dans la terre rocailleuse des exils
Voilà le résultat de l'absence de planification, ô Icare !
Me crois-tu maintenant, cher défunt ?
La poésie palestinienne contemporaine, choix des textes et traduction de Addellatif LAÂBI, Le temps des cerises et la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, 2002
David DUMORTIER
Touche à tout
Clarisse pose son doigt partout. Elle s'est brûlée en introduisant son index dans le petit trou de la cuisinière, hier elle s'en est mis un dans le derrière puis elle a senti son odeur. Elle a aussi ouvert le gaz, tout comme elle a plongé deux allers retours dans le flan en plein milieu, en sachant très bien qu'on saurait que c'est elle. Heureusement que le président de la République n'a pas mis le bouton de la bombe atomique chez eux. Seulement si elle n'entreprend pas toutes ces explorations, elle a peur de ne plus s'appeler un jour Clarisse.
La Clarisse
Publié avec le concours du Centre national du livre
2000, Cheyne éditeur, 43400 Le Chambon-sur-Lignon
Jules SUPERVIELLE
L'enfant de la haute mer
Comment s'était formée cette rue flottante?
Quels marins, avec l'aide de quels architectes,
l'avaient construite dans le haut Atlantique à la
surface de la mer, au-dessus d'un gouffre de six
mille mètres ? Cette longue rue aux maisons de
briques rouges si décolorées qu'elles prenaient
une teinte gris-de-France, ces toits d'ardoise, de
tuile, ces humbles boutiques immuables ? Et ce
clocher très ajouré ? Et ceci qui ne contenait que
de l'eau marine et voulait sans doute être un jardin
clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson ?
Comment cela tenait-il debout sans même être
ballotté par les vagues ?
Et cette enfant de douze ans si seule qui passait
en sabots d'un pas sûr dans la rue liquide, comme
si elle marchait sur la terre ferme ? Comment se faisait-il... ?
Nous dirons les choses au fur et à mesure que
nous les verrons et que nous saurons. Et ce qui
doit rester obscur le sera malgré nous.
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GUILLEVIC Il allait seul...
Il allait seul
Dans les allées,
Abandonné
Par son enfance.
Du domaine, Gallimard, 1977
D'autres extraits en page Court
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