Page d'accueil : enfance



Nous en sommes tous passés par là.

Giorgione, Venus et Cupidon, 1510

Ça laisse des traces !

  • Christian BOBIN, Il nous faut devenir adultes...
  • Rainer Maria RILKE, Certes nous grandissions.../Wir wuchsen freilich...
  • Abdellatif LAÂBI, Regarde mon amour...
  • Intermède : HOUEÏ-NENG, Le vrai miracle...
  • Jamel CARROUSSI, J'veux du soleil
  • RENAUD, Mistral gagnant
  • COLETTE, Ils ont huilé la grille
  • Hubert Félix THIÉFAINE, Variations autour du complexe d'Icare
  • Azeddine AL-MANACIRAH, La cirrhose d'Icare
  • Mahmoud DARWICH, (en cours de saisie)
  • David DUMORTIER, Touche à tout
  • Jules SUPERVIELLE, L'enfant de la haute mer
  • GUILLEVIC, Il allait seul...

  • Christian BOBIN

    Il nous faut devenir adultes pour comprendre que les adultes n'existent pas et que nous avons été élevés par des enfants que l'armure de nos rires rendaient faussement invulnérables.

    L'éloignement du monde, Lettre vives, collection Entre 4 yeux, 1993


    Rainer Maria RILKE
    Certes nous grandissions...
    Wir wuchsen freilich...

    (extrait)

    Certes nous grandissions, impatients parfois
    d'être des grands, à demi par amour pour ceux
    auxquels ne restait rien que d'être cela.

    Wir wuchsen freilich und wir drängten manchmal,
    bald groS zu werden, denen halb zulieb,
    die andres nicht mehr hatten, als das GroSsein.

    La quatrième élégie/Die vierte Elegie
    Élégies de Duino, traduit par François-René DAILLIE, La Différence, 1994


    Abdellatif LAÂBI, Regarde mon amour...

    (extrait)

    ...
    Pourquoi pleures-tu
    Est-ce pour ce monde englouti
    ou pour ce monde qui s'écroule
    Pour l'enfant ou pour l'adulte
    Pouvons-nous choisir entre deux adieux
    nous résoudre à l'adieu
    alors que le miracle est là
    nos pouls qui battent paisiblement
    jouent leur symphonie
    poignet contre poignet
    même si les armes parlent
    à la place des poètes ?

    ...

    L'étreinte du monde, La Différence, 2001


    HOUEÏ-NENG, Le vrai miracle...

    En écho au vers du poème précédent (alors que le miracle est là...)

    Le vrai miracle est de marcher sur la terre.

    Cité par Henry BAUCHAU, La Chine intérieure, Actes Sud, 2003


    Jamel Carroussi / Au P'tit Bonheur
    J'veux du soleil

    J'suis resté qu'un enfant
    Qu'aurait grandi trop vite
    Dans un monde en super plastique
    Moi j'veux retrouver... Maman !
    Qu'elle me raconte des histoires
    De Jane et de Tarzan
    De princesses et de cerfs-volants
    J'veux du soleil dans ma mémoire.

    J'veux du soleil
    J'veux du soleil
    J'veux du soleil
    J'veux du soleil

    J'veux traverser des océans
    Et devenir Monte-Christo
    Au clair de lune
    M'échapper de la citadelle
    J'veux devenir roi des marécages
    Me sortir de ma cage
    Un Père Noël pour Cendrillon
    Sans escarpin...

    J'veux du soleil
    J'veux du soleil
    J'veux du soleil
    J'veux du soleil

    J'veux faire danser Maman
    Au son clair des grillons
    J'veux retrouver mon sourire d'enfant
    Perdu dans le tourbillon
    Dans le tourbillon de la vie
    Qui fait que l'on oublie
    Que l'on est resté des mômes
    Bien au fond de nos abris.

    Paroles et Musique: Jamel Carroussi, BMG Music, 1991


    Renaud SÉCHAN
    Mistral gagnant

    A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
    Et regarder les gens tant qu'y en a
    Te parler du bon temps qu'est mort ou qui r'viendra
    En serrant dans ma main tes p'tits doigts
    Pis donner à bouffer à des pigeons idiots
    Leur filer des coups d' pieds pour de faux
    Et entendre ton rire qui lézarde les murs
    Qui sait surtout guérir mes blessures
    Te raconter un peu comment j'étais mino
    Les bonbecs fabuleux qu'on piquait chez l'marchand
    Car-en-sac et Minto, caramel à un franc
    Et les mistrals gagnants

    A r'marcher sous la pluie cinq minutes avec toi
    Et regarder la vie tant qu'y en a
    Te raconter la Terre en te bouffant des yeux
    Te parler de ta mère un p'tit peu
    Et sauter dans les flaques pour la faire râler
    Bousiller nos godasses et s'marrer
    Et entendre ton rire comme on entend la mer
    S'arrêter, r'partir en arrière
    Te raconter surtout les carambars d'antan et les cocos bohères
    Et les vrais roudoudous qui nous coupaient les lèvres
    Et nous niquaient les dents
    Et les mistrals gagnants

    A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
    Et regarder le soleil qui s'en va
    Te parler du bon temps qu'est mort et je m'en fou
    Te dire que les méchants c'est pas nous
    Que si moi je suis barge, ce n'est que de tes yeux
    Car ils ont l'avantage d'être deux
    Et entendre ton rire s'envoler aussi haut
    Que s'envolent les cris des oiseaux
    Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie
    Et l'aimer même si le temps est assassin
    Et emporte avec lui les rires des enfants
    Et les mistrals gagnants
    Et les mistrals gagnants

    Paroles: Renaud Séchan. Musique: Renaud Séchan, Franck Langolff.
    Mistral Gagnant, 1985

    COLETTE
    Ils ont huilé la grille...

    Il a, quoi qu'elle en eût, échappé à la musique, puis aux études de pharmacie, puis successivement à tout, - à tout ce qui n'est pas son passé de sylphe. A mes yeux, il n'a pas changé : c'est un sylphe de soixante-trois ans. Comme un sylphe, il n'est attaché qu'au lieu natal ; à quelque champignon tutélaire, à une feuille recroquevillée en manière de toit. On sait que les sylphes vivent de peu, et méprisent les grossiers vêtements des hommes : le mien erre parfois sans cravate, et long-chevelu. De dos, il figure assez bien un pardessus vide, ensorcelé et vagabond.
    Sa modeste besogne de scribe, il l'a élue entre toutes, pour ce qu'elle retient, assise, à une table, sa seule et fallacieuse apparence d'homme. Tout le reste de lui, libre, chante, entend des orchestres, compose, et revole à la rencontre du petit garçon de six ans qui ouvrait toutes les montres, hantait les horloges municipales, collectionnait les épitaphes, foulait sans fatigue les mousses élastiques et jouait du piano de naissance... Il le retrouve aisément, revêt le petit corps agile et léger qu'il n'a jamais quitté longtemps, et il parcourt un domaine mental où tout est à la guise et à la mesure d'un enfant qui dure victorieusement depuis soixante années.
    Il n'est pas - quel dommage!... - d'enfant invulnérable. Celui-ci, pour vouloir confronter son rêve exact avec une réalité infidèle, m'en revient déchiré, parfois...

    Lire tout le texte


    Hubert Félix THIÉFAINE
    Variations autour du complexe d'Icare

    J'ai oublié mon cerveau
    Dans mon cartable au fond de l'auto
    Maman, maman
    Cours vite me le chercher
    Je suis perdu sans
    Je suis perdu sans
    Je perds du sang
    Qu'est-ce qui m'arrive ?
    Je perds mon sang
    Je perds mon sang-froid
    J'ai froid
    Froid
    Je n'aurais pas dû aller à l'école aujourd'hui
    Ils m'ont encore battu
    Ils m'ont encore battu
    Ils m'ont encore battu
    Battu
    Battu
    Bat tu bats le tapis hein ?
    Tu bats le tapis ?
    Oh !
    Le tapis s'envole
    Le tapis s'envole
    Je suis sur le tapis
    Je suis sur le tapis
    Je vole
    Maman, maman regarde
    Je vole
    Je vole
    Maman, maman
    Adieu maman

    Un Icare en appelle un autre, tout aussi gai.

    Azeddine AL-MANACIRAH
    La cirrhose d'Icare

    Entre Icare et moi, des années-lumière
    Malgré cela, nous nous rencontrons
    en un seul point du monde
    nuitamment, sans être vus de personne
    même si la nuit, à Beyrouth par exemple
    ne suffit pas à cacher les secrets
    C'est un homme étrange
    Son acte est une erreur qui ne se répète pas comme la dynamite
    nous a dit l'instructeur
    Avant d'accomplir son acte
    il était affecté d'une cirrhose
    dont seuls ses proches connaissaient le secret
    Lui est le fils de la mer, elle la descendante du feu
    Lui est le fils de l'oiseau, elle descend de l'arbre des dissidences
    Malgré cela, je m'attends
    à ce que l'Histoire se répète
    Oui, monsieur, parfois elle se répète
    Lui se brûlera à son soleil
    et moi, l'exil me fera fondre
    Lui s'unira à la cape de l'herbe céleste
    et moi je pourrirai dans la terre rocailleuse des exils
    Voilà le résultat de l'absence de planification, ô Icare !
    Me crois-tu maintenant, cher défunt ?

    La poésie palestinienne contemporaine, choix des textes et traduction de Addellatif LAÂBI, Le temps des cerises et la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, 2002


    David DUMORTIER
    Touche à tout

    Clarisse pose son doigt partout. Elle s'est brûlée en introduisant son index dans le petit trou de la cuisinière, hier elle s'en est mis un dans le derrière puis elle a senti son odeur. Elle a aussi ouvert le gaz, tout comme elle a plongé deux allers retours dans le flan en plein milieu, en sachant très bien qu'on saurait que c'est elle. Heureusement que le président de la République n'a pas mis le bouton de la bombe atomique chez eux. Seulement si elle n'entreprend pas toutes ces explorations, elle a peur de ne plus s'appeler un jour Clarisse.

    La Clarisse
    Publié avec le concours du Centre national du livre
    2000, Cheyne éditeur, 43400 Le Chambon-sur-Lignon


    Jules SUPERVIELLE
    L'enfant de la haute mer

    Comment s'était formée cette rue flottante? Quels marins, avec l'aide de quels architectes, l'avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d'un gouffre de six mille mètres ? Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu'elles prenaient une teinte gris-de-France, ces toits d'ardoise, de tuile, ces humbles boutiques immuables ? Et ce clocher très ajouré ? Et ceci qui ne contenait que de l'eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson ?
    Comment cela tenait-il debout sans même être ballotté par les vagues ?
    Et cette enfant de douze ans si seule qui passait en sabots d'un pas sûr dans la rue liquide, comme si elle marchait sur la terre ferme ? Comment se faisait-il... ?
    Nous dirons les choses au fur et à mesure que nous les verrons et que nous saurons. Et ce qui doit rester obscur le sera malgré nous.

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    GUILLEVIC
    Il allait seul...

    Il allait seul
    Dans les allées,

    Abandonné
    Par son enfance.

    Du domaine, Gallimard, 1977
    D'autres extraits en page Court


    Créé 19/01/03
    Modifié, 09/05/04, 24/01/05
    Noosphère 2, 2005
    noosphere2@chez.com